Chronique ornithologique
Points de vue et actualité ornithologique par le biologiste Lionel Maumary.Un Bruant rustique au bord de la Thielle
Après plus de 22 ans d'absence dans notre pays, un Bruant rustique a été repéré au bord de la Thielle à Cressier NE. Le 18 mars 2021, Claude Sinz observait 2 Gorgebleues à miroir en escale à l'étang des Prés du Canal lorsqu'un bruant isolé s'est posé sur un buisson tout proche : ce n'était pas un habituel Bruant des roseaux mais un improbable Bruant rustique ! Cet oiseau très peu farouche, un mâle de 1er hiver, a pu être observé par de nombreux ornithologues jusqu'au lendemain, surtout du côté bernois du canal de la Thielle sur la commune de Gals, se nourissant au bord de la route agricole longeant le canal. Il ne s'agit que de la 10e observation de l'espèce en Suisse et la première du XXIe siècle, la dernière datant des 18-19 octobre 1998 aux Bolle di Magadino TI (capture).
Bruant rustique Emberiza rustica mâle 2 a.c., Cressier NE, 19 mars 2021. L. Maumary.
La sous-espèce nominale du Bruant rustique niche à travers toute la ceinture de taïga d'Eurasie, du sud de la Norvège à la Sibérie orientale à l'exception de l'Anadyr et du Kamtchatka, lesquels sont occupés par E. r. latifascia. Avec 150'000-300'000 couples, la Finlande héberge 85% de la population européenne. Les quartiers d'hiver se situent en Asie centrale, au Japon, en Corée et dans l'est de la Chine. La Suisse étant située à l'ouest de son aire de migration, le Bruant rustique y est un hôte accidentel sur le Plateau (6 données), sur le flanc nord des Alpes (1) et au Tessin (2 données qui documentent la traversée des Alpes); 4 des 9 données sont d'oiseaux capturés. Il existe en outre 2 observations au delta du Rhin A, les seules documentées en Autriche jusqu'en 2006. Il existe deux données en France limitrophe, dont une observation remarquable est celle d'un mâle chanteur les 12/14 juillet 1994 à Bois-d'Amont, à moins d'1 km de la frontière suisse dans la haute vallée de l'Orbe (P. Crouzier, D. Michelat)! On connaît en tout 27 données en France (jusqu'en 2003) et 78 en Allemagne (jusqu'en 1999); le Bruant rustique est un migrateur irrégulier en Italie, surtout dans le nord.
A part 2 observations printanières de Bruant rustique datant du 11 mars 1989 à Granges SO et du 22 mars 1996 à Bellach SO (W. Christen, O. & R. Gardi), toutes les observations sur territoire helvétique sont comprises entre le 7 et le 31 octobre; il existe en outre deux données au delta du Rhin A, respectivement des 22/23 septembre 1972 et du 16 novembre 1994 (P. Willi). La plupart des 440 données connues jusqu'en 2003 en Grande-Bretagne ont eu lieu entre fin août et début novembre16, mais une partie importante aussi entre fin mars et mi-juin. Cela indique que certains Bruants rustiques migrant vers le sud-ouest en automne hivernent dans l'ouest de la région méditerranéenne.
Le Bruant rustique s'est étendu vers l'ouest et le sud-ouest en Fennoscandie depuis 1895, surtout en Finlande entre les années 1910 et 40, en Suède jusque dans les années 60 et en Norvège dans les années 60 et 70; l'espèce a niché pour la première fois en Estonie en 1979 et en Lettonie en 1985. Un fort déclin a par contre été constaté en Finlande dans les années 80. En Grande-Bretagne, le nombre annuel moyen d'observations a augmenté en raison d'une activité ornithologique plus intense et une meilleure connaissance des critères d'identification: 2.9 en 1960-69, 6.3 en 1970-79,
8.3 en 1980-89 et même 20.0 en 1990-99; cette moyenne est redescendue à 9.0 données/an entre
2000 et 2003, ce qui reflète probablement l'effondrement des effectifs documenté dans les sites d'hivernage de Corée du Sud et du Japon.
Le Bruant rustique niche dans la taïga, avec une prédilection pour les marécages boisés de conifères rabougris mêlés de bouleaux Betula sp., d'aulnes Alnus sp., de saules Salix sp. et d'arbrisseaux nains. Diurne et grégaire hors de la période de reproduction, il se nourrit presque exclusivement de graines depuis l'automne jusqu'au retour sur les terrains de nidification ainsi que d'insectes et d'araignées prélevés au sol dans les broussailles humides pendant la période de reproduction. En migration, il fait escale dans les éteules de céréales, les friches humides, les roselières, les buissons et les forêts à proximité de l'eau; il se mêle volontiers aux Moineaux friquets, Pinsons du Nord, Bruants des roseaux et autres bruants, qu'il accompagne au dortoir. Le cri est un «zit» bref et incisif rappelant celui que lance la Grive musicienne à l'envol, mais plus fin. Le chant, mélodieux et mélancolique, rappelle celui du Rougegorge «duudili-diluu-dilii».
DONNÉES SUISSES (10/10):
[1] 7 octobre 1966: Innertkirchen BE, 1 mâle 1 a.c. trouvé (H. Inäbnit, H. Lanz), conservé au Naturhistorischen Museum de Bâle;
[2] 26 octobre 1980: Marin NE, 1 femelle capturée, photo ;
[3] 19 octobre 1985: Allaman VD, 1 ind. capturé, photo (B. Genton) ;
[4] 11 mars 1989: Grenchen SO, 1 mâle (W. Christen) ;
[5] 31 octobre 1992: Mühlethurnen BE, 1 ind. (A. Jordi) ;
[6] 19 octobre 1994: Grenchen SO, 1 ind. (W. Christen) ;
[7] 24 octobre 1994: Bolle di Magadino TI, 1 ind. 1 a.c. capturé, photo (C. Haag, S. Bächli, M. Mastel) ;
[8] 22 mars 1996: Bellach SO, 1 mâle (O. & R. Gardi, W. Christen) ;
[9] 18-19 octobre 1998: Bolle di Magadino TI, 1 mâle 1 a.c. capturé, photo (L. Cunningham, C. Schönbächler).
[10] 18-19 mars 2021: Cressier NE, mâle 2 a.c., photo (C. Sinz et al.).
La première donnée existante, du 8 août 1908 à Massagno T, a été rejetée par la Commission
de l'avifaune suisse.
DONNÉES LIMITROPHES:
lac de Constance (2/2):
[1] 22-23 septembre 1972: delta du Rhin A, 1 ind.;
[2] 16 novembre 1994: delta du Rhin A, 1 ? (P. Willi).
Doubs F (1/1):
[1] 11 octobre 1990: Montbenoît F, 1 ind.
Jura F (1/1):
[1] 12/14 juillet 1994: Bois-d'Amont F, 1 ? chanteur (P. Crouzier, D. Michelat).