Chronique ornithologique
Points de vue et actualité ornithologique par le biologiste Lionel Maumary.Une hécatombe d'insectivores sous le déluge en 2021
Après un mois d'avril très sec, la pluie presque continue du printemps et de l'été 2021 a provoqué une véritable hécatombe chez les oiseaux insectivores, qui ont pour la plupart dû abandonner leurs nichées faute de nourriture. Rarement on avait vu voler si peu de papillons et autres insectes.
A la gravière de Colliare à Penthaz, moins de la moitié des 24 couples nicheurs de Guêpier d'Europe recensés début juillet ont réussi à élever des jeunes jusqu'à l'envol. L'échec a également été constaté chez un couple nichant à Bière. Mais c'est chez le Martinet alpin qu'un drame sans précédent a été constaté dans la colonie de l'église St-Françoisà Lausanne: sur 19 jeunes bagués en juillet, 10 ont été retrouvés morts dans leurs nids en août, alors qu'ils avaient presque atteint l'âge de l'envol. Un adulte a même été retrouvé mort d'inanition dans le nid, ce qui n'était jamais arrivé auparavant. Le succès de reproduction est ainsi tombé pour la première fois au-dessous de 1 jeune envolé par couple nicheur (0.78) en 2021.
Cela s'explique par l'un des printemps et l'un des étés les plus froids et pluvieux des 30 dernières années. En moyenne nationale, la température moyenne du mois de mai a été inférieure de 2,3 °C à la norme 1981-2010. Au cours des 30 dernières années, seuls mai 2019 et 2013 avaient été aussi frais. Les précipitations quasi-quotidiennes ont fait de ce mois de mai le plus humide localement depuis le début des mesures. Après des mois de mai et juin pluvieux, de grandes quantités de pluie et de la grêle sont de nouveau tombées dans la première moitié de juillet. Vers la mi-juillet, plusieurs lacs et rivières ont connu des crues et des inondations. Ce n'est que vers la dernière décade du mois de juillet qu'il y a eu quelques jours de temps estival ensoleillé dans toute la Suisse. Ce mois s'est terminé sur une note humide, avec de fortes précipitations et des inondations au Tessin et en Suisse centrale. Juillet 2021 a finalement été l'un des plus humides jamais enregistrés sur de nombreux sites de mesures au Nord de la Suisse et en Suisse centrale, et même le plus humide depuis le début des mesures en moyenne nationale (Bulletins climatologiques de Météosuisse).
Ces conditions météorologiques exceptionnelles n'ont pas impacté que les insectivores, mais aussi les gallinacés de montagne ainsi que les oiseaux d'eau. Les précipitations de neige jusqu’à fin mai, puis un été très humide avec de nombreux orages et inondations, ont provoqué une forte mortalité chez les poussins de tétraonidés. Ainsi le taux de reproduction du Tétras lyre est tombé à 0.79 poussin par poule dans 5 sites de comptage des Alpes vaudoises (moyenne 1999-2021 :1.6). Dans la Grande Cariçaie sur la rive sud du lac de Neuchâtel, de nombreuses nichées de passereaux ont été noyées par la montée des eaux. Sur le lac de Morat, les colonies de Mouettes rieuses et de Sternes pierregarins ont également été submergées et les plateformes de nidifications partiellement détruites. Cela n'a heureusement pas été le cas à Préverenges, grâce à la hauteur tout juste suffisante de la plateforme de l'île aux oiseaux. Petite note positive, l'une des rares jeunes Sternes pierregarins qui s'est envolée à Salavaux, baguée par Pascal Rapin à l'embouchure de la Broye dans le lac de Morat, a été observée en septembre sur le Léman à St-Prex, nourrie par l'un de ses parents, lui-même bagué comme poussin dans la même colonie en 2006.
Les rapaces n'ont pas été épargnés : le premier nid vaudois de Circaète Jean-le-Blanc a été abandonné suite aux intempéries du mois de mai. Les deux couples d'Aigles royaux nichant dans le Jura neuchâtelois ont échoué, le premier avant l'envol et le second après l'envol du jeune. De nombreuses chauves-souris ont également été contraintes d'abandonner leurs jeunes, qui ont afflué dans les centres de soins comme Erminea à Chavornay. Sans surprise, le nombre d'oiseaux migrateurs capturés au col de Jaman pendant l'été et l'automne 2021 (5'781) a été bien plus faible que la moyenne. En effet, ces conditions météorologiques défavorables à la nidification des oiseaux ont également touché le nord de l'Europe.
Demain est un autre jour, espérons que l'expression s'applique aussi aux années ! Pour finir sur une touche positive, une Bécassine sourde est revenue hiverner dans son biotope prévu exprès pour elle à Lausanne-Vennes, malgré les chantiers actifs tout autour. Vous pouvez nous aider à faire de 2022 un beau millésime, en nous soutenant et en participant aux diverses actions du COL. Nous vous attendons nombreux à l'inauguration de la nouvelle Maison de l'île aux oiseaux, prévue au début du printemps. En vous souhaitant de belles observations hivernales, nous vous souhaitons de belles fêtes de fin d'année.