Chronique ornithologique
Points de vue et actualité ornithologique par le biologiste Lionel Maumary.Une Buse féroce Buteo rufinus à Fraubrunnen BE
Le 31 décembre 2017, Samuel Bachmann repère une Buse féroce parmi de nombreuses Buses variables Buteo buteo et Milans royaux Milvus milvus à Hindelbank BE, où elle a pu être suivie en train de planer haut dans le ciel par de nombreux observateurs. Elle avait fait escale dans des prairies regorgeant de campagnols bordant le ruisseau de l'Urtene renaturé. Cette grande buse des Balkans n'avait plus été vue en Suisse depuis 2012. Il s'agit de la 21e donnée homologuée en Suisse et la première en hiver.
Buse féroce Buteo rufinus adulte. Hindelbank BE. A. Jordi.
La sous-espèce nominale de la Buse féroce niche dans les zones arides et semi-désertiques des Balkans et du sud-ouest de la Russie jusqu'à l'Asie centrale. Une autre sous-espèce plus petite et sédentaire, B. r. cirtensis, niche en Afrique du Nord. Avec 200-300 couples, la Bulgarie héberge 50% de la population européenne. Les bastions les plus importants de l'espèce se trouvent en Turquie, dans les plaines au nord du Caucase et au Kazakhstan. La sous-espèce nominale hiverne de la Grèce au nord de l'Inde, dans la péninsule Arabique ainsi qu'en Afrique de l'Ouest et au sud jusqu'à l'équateur.
Les 21 données suisses concernent des oiseaux s'égarant à l'ouest de la voie migratoire habituelle, surtout entre le 1er avril et le 15 juin et entre le 20 août et le 10 octobre, avec un pic en avril (4) et un autre en septembre (7). Dans la région méditerranéenne et au Moyen-Orient, les périodes de migration de la sous-espèce nominale ont lieu de fin août à mi-octobre ainsi que de février à avril. Toutes les observations concernent des séjours d'une journée au maximum, à l'exception de l'estivage d'au moins 14 jours en 2010 à Täschalp (2200 m), où l'espèce se nourrissait notamment de Marmottes Marmota marmota.
Il n'existe aucune donnée suisse antérieure à 1900. Quinze des 21 observations ont été effectuées à partir de 1980, ce qui est peut-être un reflet de l'expansion vers le nord-ouest actuellement en cours dans les Balkans, en Bulgarie notamment, ainsi que de l'amélioration des guides d'identification. L'espèce niche depuis 1992 en Hongrie et depuis 1996 au moins en Roumanie. Récemment, les observations en période de reproduction sont devenues plus fréquentes en Autriche, République Tchèque et Slovaquie, de même pendant la période de migration au détroit de Messine I et sur la côte roumaine de la mer Noire.
La Buse féroce remplace la Buse variable dans les régions arides au climat chaud et sec. Elle chasse dans les plaines steppiques ou semi-désertiques et sur les collines et montagnes dénudées. Elle niche sur un arbre, un pylône ou à même le sol dans des parois de rochers, des gorges ou des escarpements de ravins. Elle se nourrit principalement de rongeurs, avec une préférence marquée pour les sousliks Citellus sp. L'oiseau observé au col de Jaman VD chassait dans un pâturage alpin à la limite supérieure de la forêt (1'560 m), à l'affût sur des rochers ou des épicéas Picea abies.
L'espèce a connu un important déclin au début du XXe siècle suite à la mise en culture des steppes et à la diminution des populations de sousliks Citellus sp. Les nids visibles ou faciles d'accès sont souvent détruits par l'Homme, mais l'expansion actuelle semble être liée à une meilleure tolérance de l'espèce aux activités humaines. L'isolation des pylônes électriques dans les sites de nidification éviterait de nombreuses électrocutions mortelles. Les vestiges de paysages steppiques doivent impérativement être préservés.
DONNÉES SUISSES (21/21):
[1] env. 2 septembre 1901: Mesolcina GR, 1 ind. tué, conservé au Muséum de Zofingue ;
[2] 18 septembre 1903: Münster VS, 1 ind. tué, conservé au Naturhistorischen
Museum de Berne (P. Lüps) et non au «Museum Bremen» comme cité ailleurs ;
[3] 1er avril 1905: Grisons, 1 ind. tué, conservé au Naturhistorischen Museum de Bâle (R. Winkler) ;
[4] 15 juin 1926: Wiggen LU, 1 ind. tué, conservé au Naturhistorischen Museum de Bâle (R. Winkler) ;
[5] 5 septembre 1930: Viège VS, 1 ind. trouvé mort, conservé dans la collection de J. Huber,
Oberkirch LU (J. Huber) ;
[6] 12 septembre 1958: col de Bretolet VS, 1 ind. ;
[7] avril 1980: Silenen UR, 1 ind. trouvé mort (K. Epp)ACH, et non pas en fin d'été 1979 comme mentionné parfois, conservé dans la collection de K. Epp à Silenen UR (R. Winkler) ;
[8] 8 avril 1984: Fanel BE/NE, 1 ind. ;
[9] 5 mai 1985: retenue de Klingnau AG, 1 ind. (M. Leuenberger, P. Wild) ;
[10] 20 août 1989: Mont-Sagne/La Chaux-de-Fonds NE,
1 ind. (M. Zimmerli, A. Badstuber) ;
[11] 15 mai 1996: Rothrist AG, 1 ad. (P. Lustenberger) ;
[12] 23 avril 1999: Amden SG, 1 ind., photo (F. Iff) ;
[13] 4 octobre 1999: Häusernmoos BE, 1 ind. (E. Reist) ;
[14] 10 octobre 1999: col de Jaman VD, Les Verraux/Montreux VD et Les Coursis VD/FR, 1 ind. 1 a.c. avec les caractères de B. r. rufinus, photo (S. Faoro, J. Duplain, Y. Frutig, L. Maumary, L. Vallotton et al.) ;
[15] 3 septembre 2001: Gurten BE, 1 ind. (P. Lustenberger)16 ;
[16] 11 mai 2004: Hirzel ZH, 1 ind. (L. & K. Felix) ;
[17] 13 septembre 2006 : Mont-Sagne/La Chaux-de-Fonds NE , 13 septembre, ad. (M. Zimmerli) ;
[18] 26 septembre 2006 : Gudo TI, 26 septembre, 1 a. c., phot. (B. Sommerhalder) ;
[19] 5-18 juillet 2010 : Täschalp/Täsch VS, 2 a. c., phot., video (V. Imboden et al.).FR – Delley, [20] 18 août 2012 : Delley FR, ad. (L. Trefzer, C. Suter).
[21] 31 décembre 2017 : Hindelbank et Fraubrunnen BE, ad. (S. Bachmann et al.).
Nombre d'individus