Chronique ornithologique

Lionel Maumary Points de vue et actualité ornithologique par le biologiste Lionel Maumary.

Le Ballet des Butors

Lionel Maumary, Oiseaux.ch, 18.01.2010

Depuis la fin de l’année 2009, 4 Butors hantent les roselières de Champ-Pittet. Grâce à la tour d’observation et du nouvel affût, on peut les observer en train de pêcher, surtout depuis que les étangs sont pris par la glace. Chaque individu guette à son trou d’eau de prédilection, dont il interdit l’accès aux autres butors. Ils sont la coqueluche des photographes, qui sont prêts à attendre plusieurs heures pour réaliser le meilleur cliché !

Le Butor étoilé niche sporadiquement dans la plus grande partie de l’Europe occidentale, puis sa distribution s’étend à l’est selon une bande continue comprise dans la zone tempérée jusqu’au Japon. Il niche également dans quelques localités du Maghreb, et une autre sous-espèce est confinée à l’Afrique du Sud. Avec plus de 4'000 couples, l’Ukraine héberge 40 % de la population européenne. Plutôt sédentaire en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, en France et en Espagne, il est migrateur dans le nord et l’est de son aire de répartition.

En Suisse, c’est un migrateur et hivernant rare et localisé dans les roselières des lacs, étangs et grandes rivières du Plateau et du Tessin. Les principaux sites traditionnels d’hivernage sont la Grande Cariçaie de la rive sud du lac de Neuchâtel, la retenue de Niederried BE, le Mauensee LU, le Greifensee ZH, le Katzensee ZH, les Grangettes VD, le Creux-de-Terre à Chavornay VD, les Bolle di Magadino TI et les roselières bordant le lac de Constance au delta du Rhin A, au Wollmatinger Ried D et à Radolfzell D.

Les premiers oiseaux peuvent exceptionnellement être observés en juillet et août, le cas échéant des jeunes de l’année en dispersion post-juvénile. Les véritables migrateurs n’arrivent pas avant mi-septembre, le mouvement s’accentuant en octobre et novembre pour culminer en décembre et janvier. Les hivernants repartent entre février et avril, laissant quelques retardataires jusqu’à fin mai. Il n’existe aucune observation du mois de juin.

De nombreuses régions ont été désertées en Europe au cours du XIXe siècle, principalement à cause du drainage des zones marécageuses. La moitié des pays européens possédant des nicheurs ont enregistré un déclin entre 1970 et 1990, atteignant plus de 50 % en en Allemagne, aux Pays-Bas, en Espagne et en Grande-Bretagne. Les fluctuations de population sont importantes dans toute l’Europe et peuvent, du moins en partie, être expliquées par des facteurs climatiques, les oiseaux mourant souvent d’inanition lors de congélations prolongées : ainsi en Suède, les effectifs ont chuté de 35 à 40 % après l’hiver rigoureux de 1978/79. Insignifiant au début des années huitante, l’effectif hivernal helvétique a presque décuplé dès 1989 : le nombre moyen d’hivernants ne dépassait pas 14 individus entre 1985 et 1988, alors qu’il atteignait 127 individus entre 1989 et 1999. Cette augmentation reflète probablement une amélioration du statut de l’espèce dans le nord de l’Europe : en effet, entre 1988 et 1990, après une série d’hivers doux, le nombre de mâles mugissants est passé de 70 à 194 en Finlande, pour atteindre 250-350 au milieu des années nonante. En France, la population nicheuse, estimée à 400 couples en 1990, avait chuté à 320 couples en 1983 alors qu’elle en comptait 400-500 au début des années septante ; les tendances actuelles y sont contradictoires selon les régions. Sur les rives du lac de Constance, 203 observations concernant 215 individus ont été répertoriés pendant la période 1982-95 ; avec en moyenne 15 observations par année, la fréquence et la phénologie y est sensiblement la même que dans les années septante.

Intimement inféodé aux marais de plaine possédant une abondante végétation palustre, le Butor ne s’éloigne guère du couvert des roseaux qu’au crépuscule, mais il est aussi actif pendant la journée. Chassant la plupart du temps à l’affût, il reste immobile pendant de longues périodes, mais frappe comme l’éclair lorsqu’une proie passe à sa portée. Il se nourrit principalement de poissons, de batraciens et d’invertébrés aquatiques. Une technique de pêche caractéristique est de laisser tremper le bout de son bec dans l’eau, probablement pour attiser la curiosité des poissons qui s’en rapprochent et se font ainsi plus facilement capturer. Concentré sur sa pêche, il est parfois victime du Renard Vulpes vulpes. Il est le plus souvent solitaire et territorial aussi en hiver, mais des rassemblements comptant 3 à 7 individus peuvent occasionnellement être autour des eaux libres de glace lors des coups de froid. Les nuits de printemps, le mâle se signale parfois par son mugissement, qui rappelle le son produit en soufflant au ras d’un goulot de bouteille. Ces séries de sons bas, qui lui ont valu le surnom de "bœuf des marais", sont audibles à plus de 5 kilomètres ! L’espèce est silencieuse en hiver.

L’espèce n’a jamais été prouvée nicheuse en Suisse, mais elle a niché en 1994 sur la rive allemande du lac Inférieur au Wollmatinger Ried. Il est fort probable que le Butor étoilé a niché occasionnellement dans les roselières de la rive sud du lac de Neuchâtel : des pêcheurs d’Yverdon VD affirment avoir entendu le mugissement du Butor pendant l’été, ce que des ornithologues ont également consigné. Des chanteurs isolés ont été entendus à fin mai 1936 dans les roselières entre Chevroux VD et Portalban FR (A. Rothe), en mars et avril 1952, 1961, 1962, 1966, 1967 et en 1987 à Cudrefin VD. Dans le canton de Vaud, entre 1939 et 1993, 12 observations réparties de mai à août à Chevroux VD, Champittet VD, Chavornay VD et Mies VD sont plutôt attribuées à des estivages ou à la dispersion post-juvénile, mais rendent plausibles des reproductions dans la région. De nouveaux sites de nidification ont été découverts récemment dans le Piémont (Italie).