Chronique ornithologique

Lionel Maumary Points de vue et actualité ornithologique par le biologiste Lionel Maumary.

Invasion de Bécasseaux roussets en Europe

Lionel Maumary, Oiseaux.ch, 04.10.2011

Les ouragans au-dessus de l'Atlantique ont déporté un nombre historique de Bécasseaux roussets vers l'Europe, notamment en Grande-Bretagne et surtout en Irlande, où un groupe de 15 individus a été observé! Nous en avons également accueilli un en Suisse, le 9e pour notre pays, accompagné de 2 Bécasseaux tachetés à son arrivée. Il a séjourné une dizaine de jours au Nuolener Ried SZ, au bord du lac de Zurich à fin septembre 2011.

Paradoxalement, le Bécasseau rousset est l’un des limicoles nord-américains les plus fréquents en Europe, déporté par les dépressions automnales au-dessus de l’Atlantique, alors qu’il est rare sur la côte atlantique des Etats-Unis. Pour cet habitué des vols sans escale entre le Canada et l’Amérique du Sud, les sauts intercontinentaux n’ont rien d’une performance exceptionnelle : le voyage aller-retour des oiseaux sibériens entre l’île de Wrangel et les pampas d’Argentine équivaut à un tour complet de la Terre chaque année ! Cette espèce peu nombreuse a bien failli s’éteindre au début du XXe siècle en raison d’une chasse excessive. Ressemblant superficiellement à une jeune femelle de Combattant varié, il s’en distingue par son cou plus court, son bec plus court, fin et droit et par son front bombé ; il ne possède pas de bords blancs sur le croupion. Le jeune possède des lisérés plus fin et pâles que l’adulte.


Le Bécasseau rousset niche sur les côte de la Sibérie arctique entre les rivières Ekvyvatan et la péninsule des Tchouktches, ainsi que sur les îles Ayon et Wrangel dans la mer de Sibérie orientale, puis de l’extrême nord de l’Alaska à travers les Territoires du Nord-ouest et le Nunavut jusqu’à l’île Devon. La population globale est estimée à moins de 25'000 couples. L’espèce hiverne exclusivement en Argentine, en Uruguay et au Paraguay.

Les observations en Suisse sont dispersées sur le Plateau, la plaine de l’Aar près de Granges SO récoltant 2 données ; jouissant d’une situation privilégiée, le delta du Rhin récolte pas moins de 5 observations ! Dans les pays limitrophes, la France compte 121 observations au XXe siècle et l’Allemagne environ 25.

En automne, les oiseaux sibériens se dirigent d’abord vers le Canada avant de bifurquer en direction de l’Amérique du Sud. Il est possible qu’une partie de migrateurs prolongent leur route vers l’est au-dessus du Groenland et atteignent ainsi le « faux » continent. A l’exception de la donnée printanière du 6 juin 2001 à Granges SO, toutes les données concernent la migration postnuptiale et tombent entre le 25 août et le 22 novembre. En Europe, la majorité des observations ont lieu d’août à début octobre, avec un pic dans la première moitié de septembre ; l’espèce est extrêmement rare au printemps.

L’espèce comptait des millions d’individus à la fin du XIXe siècle, avant qu’elle fasse l’objet d’une chasse effrénée qui faillit anéantir l’espèce au début du XXe siècle. Les populations ne se sont jamais complètement reconstituées, atteignant à peine 10'000 individus au Canada et quelques dizaines d’oiseaux sur l’île de Wrangel (Sibérie orientale). Huit des 14 données datent des années septante et huitante ; à cette époque, la fréquence de l’espèce était également remarquable en Europe occidentale : en Grande-Bretagne, où l’on compte 525 données jusqu’en 1985, surtout sur les îles Scilly en Cornouailles, 65 ont été enregistrées entre 1975 et 1977.

Le Bécasseau rousset niche dans la toundra arctique, de préférence sur sol sablonneux et bien drainé. En migration et en hivernage, il fréquente les prairies rases, pâturages, terrains de golf, aérodromes, champs labourés, cultures de céréales d’hiver, souvent loin de l’eau. Diurne, il se nourrit d’invertébrés picorés au sol, parfois en interrompant sa marche à la manière des pluviers. Tous les oiseaux observés en Suisse et sur les rives limitrophes du lac de Constance étaient isolés, mais des groupes comptant jusqu’à 5 individus ont été observés sur la côte atlantique française. Le plus long séjour connu, de 9 jours, était celui de l’oiseau très tardif du 14 au 22 novembre 1981 au Wauwilermoos LU, associé à une troupe de Vanneaux huppés. Le jeune observé à Ins BE s’est posé en matinée dans une culture de céréales d’hiver, inondée par une pluie diluvienne et fréquentée par de nombreux Grands Gravelots, puis s’est envolé seul en direction de l’est dans l’après-midi. Les migrateurs sont généralement silencieux, mais émettent parfois un grognement doux ou une trille à l’envol. Les jeunes témoignent une grande confiance à l’homme, à l’instar du Pluvier guignard.

Le Bécasseau rousset est une espèce extrêmement rare, qui a faillit s’éteindre au début du XXe siècle en raison d’une chasse excessive en Amérique du Nord : il s’en est fallu de peu pour qu’il ne subisse le même sort que le Courlis eskimo Numenius borealis, aujourd’hui disparu, avec lequel il partageait ses terrains de nidification et ses quartiers d’hiver. La destruction des sites d’escale aux Kansas (Etats-Unis) et dans les pampas d’Argentine est aussi en partie responsable du déclin de l’espèce.