Chronique ornithologique

Lionel Maumary Points de vue et actualité ornithologique par le biologiste Lionel Maumary.

Une Alouette haussecol à l'aéroport de Zurich

Lionel Maumary, Oiseaux.ch, 23.01.2017

Le 16 janvier 2017, Nicolas Baiker découvre une Alouette haussecol (Eremophila alpestris) dans une troupe d'Alouette des champs à Niederglatt ZH, aux abords des pistes de l'aéroport de Zurich-Kloten. Cette alouette montagnarde hivernant sur les côtes de la mer du Nord n'avait plus été observée sur le Plateau suisse depuis une dizaine d'années. Cet individu est probablement arrivé avec les grands groupes d'Alouette des champs fuyant la vague de froid accompagnée de fortes chutes de neige : le 14 janvier 2017, en 15 minutes de comptage, plus de 2'000 Alouettes des champs se sont élancées au-dessus du Léman en direction de la Haute-Savoie F à l'embouchure de l'Aubonne (Allaman VD).

Alouette haussecol (en haut à droite du groupe d'Alouettes des champs) Niederglatt ZH, 21 janvier 2017. L. Maumary.

L'Alouette haussecol est une espèce holarctique largement distribuée dans l'Ancien- et le Nouveau-Monde, avec deux petites populations isolées dans l'Atlas marocain (E. a. atlas) et dans les Andes près de Bogota. En Europe, 4 sous-espèces occupent des types d'habitats bien distincts: la toundra arctique et les montagnes scandinaves pour E. a. flava, les sommets des Carpathes méridionales et des Balkans jusqu'en Grèce pour E. a. balcanica, l'Asie Mineure, la Transcaucasie et le Caucase jusqu'au nord-ouest de l'Iran pour E. a. Penicillata, et les steppes de la Volga à celles d'Asie centrale pour E. a. brandti ; l'espèce a niché une fois en Ecosse en 1977. Huit autres sous-espèces se trouvent en Asie et environ 25 en Amérique. Avec 2'000-10'000 couples, la Norvège héberge 95% de la population scandinave (E. a. flava); la Bulgarie est le principal fief de E. a. balcanica avec 1'000-10'000 couples (plus de 70% de l'effectif). Les sous-espèces méridionales sont sédentaires, alors que E. a. flava quitte la toundra pour aller hiverner sur les côtes de la mer du Nord et de la Manche, ainsi qu'au bord de la Baltique et sur la côte est de la Grande-Bretagne; un petit nombre pénètre à l'intérieur du continent au sud jusqu'en Hongrie et aux côtes septentrionales de la mer Noire.

En Suisse, la sous-espèce E. a. flava est une migratrice extrêmement rare, notamment sur le Plateau et sur les sommets dénudés du Jura, une fois respectivement dans le canton de Glaris, en Valais central et au Tessin. Dans le Jura, elle a été observée dans les mêmes pâturages que le Pluvier guignard, vers 1'600 m aux sommets du Suchet VD, du Chasseron VD et du Chasseral BE.

Presque toutes les observations en Suisse ont eu lieu entre le 26 septembre et le 23 février, le plus souvent en octobre (4) et en novembre (4). Deux Alouettes haussecols ont été vues au printemps, le 15 avril 1974 sur le Plateau de Diesse BE (H. R. Pauli, T. Marbot) et le 12 mai 2002 au Wauwilermoos LU (R. Wüst-Graf, S. Wechsler, R. Hardegger et al.). Ce dernier migrateur tardif est apparu lors d'un retour de neige provoquant le repli des passereaux de la montagne vers les basses altitudes. Après des observations isolées entre le 27 février et le 1er avril 1995, un mâle adulte a hiverné du 6 décembre 1995 au 8 avril 1996 dans une sablière dans le Doubs F à Dommartin, à moins de 10 km de la frontière suisse. Deux oiseaux y étaient à nouveau observés les 13-14 décembre 1997 aux abords d'un tas de fumier.

L'espèce s'est étendue en Scandinavie au cours du XIXe siècle, puis la population s'y est effondrée à partir de 1950, ne laissant qu'une poignée de nicheurs (0-10 couples) en 1990-95 en Finlande alors qu'on y comptait environ 10'000 couples au milieu du siècle. Les causes de ce déclin sont peu connues, le seul changement significatif intervenu dans les montagnes scandinaves étant l'élimination de l'épais tapis de lichens par surpâturage des rennes. Cette raréfaction a eu des répercussions jusqu'en Suisse, puisque le nombre de données a diminué malgré l'augmentation du nombre d'observateurs: on connaît 9 données de 1960 à 1985 contre seulement 5 par la suite.

Cette espèce recherche les terrains plats, souvent caillouteux, recouverts de gazons ras, qu'elle trouve à haute latitude ou à une altitude élevée pendant l'été. La sous-espèce E. a. flava hiverne principalement sur les dunes littorales et les prés salés, à l'intérieur du continent aussi dans les paysages ouverts et les champs labourés. Diurne, elle se nourrit en été d'insectes et autres invertébrés, en hiver de graines et de végétaux verts. En escale dans les pâturages, elle extrait les larves d'insectes et d'autres arthropodes des bouses de vaches. Le cri à l'envol est un sifflement métallique mono- ou bisyllabique «hi-dui».

La régression de l'espèce en Scandinavie est probablement liée aux changements des pratiques agricoles et l'endiguement à grande échelle dès le début des années 60, au surpâturage en Fennoscandie ainsi qu'à l'abandon des pâtures dans les quartiers d'hiver.