Chronique ornithologique

Lionel Maumary Points de vue et actualité ornithologique par le biologiste Lionel Maumary.

Mauvaise année pour les martinets

Lionel Maumary, Oiseaux.ch, 30.07.2008

Mauvaise année pour les martinets

Les conditions météorologiques pluvieuses du mois de mai ont été particulièrement défavorables à la nidification des martinets, notamment les Martinets à ventre blanc. A l’église St-François à Lausanne, seuls 5 couples ont réussi à élever des jeunes (12 en tout), et tardivement. Le résultat est semblable à celui de l’année précédente, où les pluies avaient déjà été à l’origine d’une reproduction très faible (4 couples ayant produit des jeunes à l’envol en 2007). La colonie de l’église St-François compte normalement une dizaine de couples. Dans d’autres villes, comme à Fribourg, le succès de reproduction a été meilleur, mais aussi avec beaucoup de nidifications tardives.

Quant au Martinet noir, le nombre de réceptions n’a jamais été aussi élevé au centre de soins de la Vaux-Lierre, avec 86 individus. La plupart étaient des jeunes sous-alimentés, ayant probablement sauté du nid après avoir été abandonnés par les parents. Beaucoup d’entre eux sont morts, dans un état d’inanition trop avancé. Chez cette espèce également, de nombreuses nidifications tardives ont été enregistrées.

Martinet alpin

Le Martinet à ventre blanc est distribué de façon discontinue sur la plupart des reliefs de la moitié méridionale de l’Ancien-Monde. Toute la population du Paléarctique occidental hiverne en Afrique équatoriale. Cette espèce atteint la limite septentrionale de son aire de nidification dans les villes du nord de la Suisse et dans les territoires limitrophes d’Alsace F et du Bade-Wurtemberg D. Les colonies rupestres se rencontrent surtout en Valais, au Tessin et dans les Grisons ; elles sont rares sur le versant nord des Alpes et uniquement au Creux-du-Van NE dans le Jura suisse. Les sites de nidification sont désertés en septembre et pendant la première moitié d’octobre, mais la migration postnuptiale est déjà sensible en juillet sur les cols alpins. De petits groupes sont encore parfois observés dans la dernière décade d’octobre, exceptionnellement au début de novembre.

La rénovation des vieux édifices est la plus grande menace pour les colonies urbaines, la suppression des accès aux nids entraînant souvent la désertion définitive des colonies. Les filets de protection contre les Pigeons domestiques peuvent provoquer la mort des oiseaux qui s’y prennent par leurs griffes acérées et, ne parvenant pas à écarter leurs doigts, ne peuvent plus s’en dégager. Comme en 2007, deux individus sont à nouveau morts en 2008 dans ces filets. Le Martinet alpin est fortement dépendant des mesures de protection sur les bâtiments, sans quoi ses effectifs diminueraient rapidement. La pose de nichoirs ou la création de sites de nidification adéquats favorise la conservation et le développement des colonies urbaines. Par exemple, la rénovation du clocher de l’église St-François à Lausanne a provoqué en 1992 la disparition de la colonie d’une vingtaine de couples qui s’y trouvait, suivie d’une lente recolonisation dès 1994 grâce aux nichoirs posés pendant les travaux, avec 7 couples en 2002 et 8 en 2003 ; le fondateur et plus fidèle artisan de cette nouvelle colonie était un oiseau né en 1990 à Soleure. La Suisse héberge environ 2.5 % de l’effectif européen et a donc une responsabilité pour sa conservation.

Martinet noir

Aucun autre être vivant n’a poussé aussi loin l’adaptation au milieu aérien que le Martinet noir : non seulement ses activités diurnes ont lieu dans les airs, aussi bien la toilette que l’accouplement, mais il y passe également la nuit, ne se posant que pour couver ses œufs. Plus encore que chez les hirondelles, avec lesquelles il est souvent confondu, sa physionomie est conçue pour l’aérodynamisme : corps fuselé, longues ailes en faux, queue fourchue, profondes arcades sourcilières, large bec permettant de gober les insectes. Les poursuites aériennes accompagnées de cris stridents des escadrons rasant les vieux toits sont indissociables des belles soirées d’été, bien que cet insectivore nous quitte à fin juillet déjà.

En Suisse, 50’000-75’000 couples nichent dans toutes les zones urbaines et rurales, de la plaine jusque vers 2'000 m d’altitude. Au printemps, le gros des arrivées a lieu dans la dernière décade d’avril. Lors de mauvaises conditions atmosphériques, des flux ininterrompus de martinets fuyant vers le sud-ouest peuvent être observés. Pendant ce temps, les jeunes tombent en torpeur pour survivre sans manger pendant plus d’une semaine. Lors de printemps pluvieux, les adultes peuvent mourir en masse, ce qui provoque parfois des chutes brutales et durables des effectifs nicheurs.

Le Martinet noir niche presque exclusivement dans les anfractuosités de vieux bâtiments, notamment dans les toitures à plus de 10 m de hauteur, avec suffisamment d’espace dégagé pour pouvoir s’élancer dans le vide et permettre les manœuvres aériennes à grande vitesse. Le nid est une coupe ovale de 10-11 cm collée sur une poutre ou un mur, formée de matériaux légers récoltés en vol (plumes, duvet, poils, débris végétaux) et agglutinés de salive. L’incubation par le couple dure 19-21 jours. Le séjour des jeunes au nid est de 42 jours en moyenne. Ils doivent être parfaitement capables de voler au moment de s’élancer du nid pour la première fois, car ils n’y reviendront plus.

Très fidèle à son site de nidification, le Martinet noir souffre des rénovations et transformations de bâtiments, qui provoquent fréquemment la disparition des sites de nidification. Des mesures peu coûteuses permettent cependant de conserver ou de créer des sites de nidification, notamment par la pose de nichoirs appropriés.


LM, 21.7.2008