Chronique ornithologique

Lionel Maumary Points de vue et actualité ornithologique par le biologiste Lionel Maumary.

Des Labbes à longue queue sur les lacs suisses

Lionel Maumary, Oiseaux.ch, 13.09.2013

Depuis fin août 2013, de nombreux Labbes à longue queue ont été observés sur les lacs Léman, de Neuchâtel et de Constance. Jusqu'à 13 individus ont été dénombrés sur ce dernier lac ! Ce sont tous des juvéniles, ce qui indique que la reproduction a été particulièrement bonne chez cette espèce dans la toundra arctique où elle niche, probablement en raison d'une pullulation de lemmings ou de campagnols. Le dernier afflux d'une telle ampleur s'est produit en 2002 chez cette espèce hautement pélagique.

La sous-espèce nominale du Labbe à longue queue niche de la Scandinavie à travers l’extrême nord de la Sibérie jusqu’à l’embouchure de la Léna, quelques couples nichant au Spitzberg ; la sous-espèce S. l. pallescens remplace la première à l’est de la Léna, en Alaska, dans les Territoires du nord-ouest canadien et au Groenland. L’espèce hiverne au large de l’Afrique du Sud, de la Terre de Feu, d’Australie et de Nouvelle Zélande jusque au-delà du cercle polaire antarctique. La péninsule Fenno-scandinave héberge la quasi-totalité de la population européenne, sans compter la Russie, qui abrite quant à elle plus de 10'000 couples.

En Suisse, l’espèce apparaît régulièrement sur les plus grands lacs du Plateau, notamment au milieu du Léman, où ils séjournent parfois plusieurs jours. Lors d’années à irruptions, des jeunes sont parfois observés ou recueillis sur de petits lacs de montagne au-dessus de 1'000 m d’altitude dans le Jura et les Alpes, par exemple le 28 septembre 1949 à Finhaut VS. La plus haute donnée est celle d’un adulte survolant un glacier au-dessus d’Arolla VS à 3'200 m d’altitude le 16 septembre 1979.

La migration postnuptiale débute en août, culmine en septembre, diminue rapidement en octobre et se termine en novembre. Deux données hivernales de janvier et février sont des exceptions. L’unique observation printanière homologuée est celle d’un adulte le 7 juin 1995 dans le bassin d’Ermatingen.

Le Labbe à longue queue est le plus fréquent des trois « petits » labbes traversant le continent, contrairement à ce qui prévalait jusqu’à présent : en effet, de nombreux Labbes à longue queue sont déterminés par erreur comme des Parasites, comme le montre l’examen des spécimens conservés dans les musées zoologiques. Les fluctuations cycliques des lemmings, dont il se nourrit pendant la période de reproduction, influence grandement le succès de reproduction de l’espèce. Les pullulations de ces micromammifères, qui ont lieu tous les trois ans environ, donnent lieu à des afflux à l’intérieur du continent en automne, comme en 1957, 1961, 1976, 1982, 1985, 1988, 1991, 1994 et 1999 et 2002, coïncidant souvent avec ceux du Labbe pomarin. Les plus fortes irruptions de 1976, 1999 et 2002 ont fourni le plus grand nombre d'observations en Suisse. Sur le lac de Constance, on connaît 14 données jusqu’en 1981, dont 13 d’oiseaux recueillis, puis 9 jusqu’en 1998, dont seulement 5 ont été homologuées. Sur 66 individus signalés en Suisse de 1950 à 1996, 40 ont été recueillis morts ou mourants.

Le Labbe à longue queue niche dans la toundra arctique sur les côtes et en montagne, jusque vers 1'300 m d’altitude en Scandinavie, pénétrant plus profondément à l’intérieur des terres que les Labbes parasite et pomarin. Diurne et grégaire, il se nourrit principalement de micromammifères (lemmings) pendant la période de nidicfication, qu’il repère en volant sur place. Hors de la saison de reproduction, il se nourrit de petits poissons, invertébrés aquatiques, occasionnellement par kleptoparasitisme de mouettes ou de sternes. Sur le Léman, il attaque parfois les Mouettes rieuses, Mouettes pygmées et Sternes pierregarins isolées, mais effraie occasionnellement aussi les Goélands leucophées lorsqu’il accélère ou qu’il les surprend, sans toutefois provoquer les paniques occasionnées par le Labbe parasite. Plus généralement, il écume le lac en le survolant lentement à une dizaine de mètre de hauteur afin de repérer des proies ou charognes ; un jeune a tenté d’avaler un Gobemouche noir noyé flottant à la surface de l’eau. Les jeunes séjournent volontiers quelques jours en automne, notamment au milieu du Léman ; un jeune a fait escale du 9 au 22 septembre 1994 dans des champs à Ins BE. A l’instar d’autres espèces arctiques, les jeunes sont très peu farouches, tolérant souvent une approche à moins d’un mètre. L’espèce est généralement silencieuse hors de la période de nidification, mais pousse parfois des craquètements en séries lors des poursuites.