Chronique ornithologique

Lionel Maumary Points de vue et actualité ornithologique par le biologiste Lionel Maumary.

D’où viennent les Mésanges à longue queue à tête blanche ?

Lionel Maumary, Oiseaux.ch, 11.02.2010

Mésange à longue queue à tête blanche photographiée le 16 janvier 2010 à Buchillon VD.

Des oiseaux à tête entièrement blanche sont occasionnellement observés en Suisse, comme cet individu photographié le 16 janvier 2010 à Buchillon vD. Bien qu’ils soient phénotypiquement identiques aux oiseaux scandinaves et d’Europe de l’Est (Carpates p. ex.), ils sont probablement issus des populations locales. En effet, cette espèce est très sédentaire, les irruptions d’individus nordiques étant improbable. Aucune reprise d’un oiseau scandinave n’a été effectuée en Suisse. Cela pose la question de la distinction des sous-espèces sur la base de critères morphologiques.

Distribuée à travers toute la zone tempérée d’Eurasie, du Portugal au Japon, la Mésange à longue queue est divisée en 3 groupes taxonomiques : caudatus, europaeus et alpinus. La sous-espèce nominale de la Mésange à longue queue niche en Fennoscandie (au nord jusqu’au Finnmark) et de la côte méridionale de la Baltique à l’Oural, remplacée par A. c. sibirica à l’est jusqu’au Kamtchatka et au nord de la Chine, A. c. europaeus en Europe occidentale et centrale au nord des Alpes et de la mer Noire, A. c. rosaceus en Grande-Bretagne, A. c. aremoricus sur la façade atlantique française, A. c. taiti du sud-ouest de la France et dans la moitié nord de la péninsule Ibérique, A. c. irbii dans la moitié sud de la péninsule Ibérique et en Corse, A. c. italiae en Italie continentale et en Slovénie, A. c. macedonius dans les Balkans, A. c. siculus en Sicile, A. c. tauricus dans le sud de la Crimée, A. c. tephronotus en Asie Mineure, A. c. major dans le Caucase et en Transcaucasie, A. c. alpinus dans le nord de l’Iran, A. c. passekii dans le sud-ouest de l’Iran ; il existe en outre 3 sous-espèce au Japon et en Chine. L’espèce est généralement sédentaire en Europe moyenne, mais des mouvements migratoires se manifestent dans les populations nordiques et orientales, même s’ils n’affectent qu’un petit contingent de l’espèce. En automne 1973, une irruption massive a eu lieu à travers la Finlande, la Suède et les pays Baltes, impliquant plus de 10'000 oiseaux probablement originaires du nord-ouest de la Russie.

La Mésange à longue queue est répandue dans toutes les régions de Suisse au-dessous de 1'200 m d’altitude, montant localement jusqu’à la limite supérieure des forêts. Les nidifications les plus élevées ont été signalées dans le Jura à 1'330 m, dans les Préalpes à 1'760 m et dans les Alpes à 1'800 m à Chandolin VS et à 1'920 m à San Peter sur Samedan GR. De petits groupes sont régulièrement capturés en automne aux cols de Bretolet VS et de Jaman VD, mais ces mouvements ne sont pas toujours orientés vers le sud-ouest. En Suisse comme en France, les observations de Mésanges à longue queue à tête blanche appartiennent probablement aux populations locales (5 % des données helvétiques).

En principe sédentaire, la Mésange à longue queue apparaît toutefois en petits groupes sur les cols alpins en automne, trahissant des déplacements orientés vers le sud-ouest ou des mouvements de transhumance. En hiver, l’espèce se rencontre surtout en plaine au-dessous de 800 m d’altitude, parfois aussi en montagne dans les régions bien exposées, comme vers 2'000 m à Arolla VS.

Entre les périodes d'atlas 1972-76 et 1993-96, le nombre de carrés occupés est passé de 325 à 387, ce qui représente une extension de 20 % de l’aire de reproduction, notamment dans les Alpes et le Jura. La population de la région du lac de Constance a plus que doublé entre 1980-81 et 1990-92, l’aire occupée s’étant agrandie de près de 80 %. Une expansion a été remarquée également dans d’autres pays d’Europe centrale depuis le milieu des années huitante. Les hivers rigoureux du milieu des années huitante ont provoqué une chute des effectifs, qui se sont reconstitués à la faveur des hivers doux des années nonante, qui ont également permis à l’espèce de coloniser de nouveaux sites dans les Alpes et le Jura. Le froid polaire de février 1999 est sans doute à l’origine de baisses momentanées et locales constatées lors du printemps qui a suivi.

La Mésange à longue queue niche de préférence dans les boisements feuillus assez ouverts et diversifiés par des buissons et des sous-bois abondants, dans les forêts riveraines, les taillis clairs, parcs, vergers et haies, volontiers aux abords des habitation et près de l’eau. Elle évite les futaies épaisses dépourvues de sous-bois et les espaces cultivés pauvres en haies et bosquets. Diurne et grégaire, elle se nourrit au printemps et en été principalement d’insectes, d’araignées et de petits gastéropodes prélevés en inspectant les rameaux et les feuillages, en hiver aussi de graines. Elle poursuit parfois les insectes en vol et se montre parfois aux mangeoires en hiver ; elle descend rarement à terre (p. ex. pour capturer des diptères sur un tas de fumier en hiver). Très active, elle volette d’arbre en arbre, se suspendant aux branches avec agilité, souvent de manière acrobatique. Hautement grégaire dans tous les aspects de son comportement, sauf pour ce qui touche directement au nid, elle vit en groupe familiaux comptant souvent 10-15, voire 30, exceptionnellement jusqu’à 50 oiseaux. Pendant la nuit, les membres d’un groupe se perchent côte à côte sur une branche pour se tenir chaud. Les places centrales sont occupées par les oiseaux occupant le haut de la hiérarchie du groupe, mais les tournus sont fréquents. Plus les nuits sont froides, plus les oiseaux se serrent ; ils se réfugient parfois dans un endroit abrité comme dans le lierre couvrant un mur, une cavité ou sous la neige. Souvent peu farouches et curieuses, les Mésanges à longue queue sont sans cesse en mouvement, se déplaçant en groupe d’un arbre à l’autre selon un circuit parcouru plusieurs fois par jour ; on peut facilement les attirer en chuintant. Les cris de contact caractéristiques sont des « si-si-si » trisyllabiques de roitelet alternant avec des trilles brefs « tchrrp-tchrrp » souvent répétés et des claquements doux « tk-tk ». Le chant, émis par le mâle et la femelle, est une version gazouillée des deux types de cris.

Le nid est un ovale avec une entrée latérale ronde, fait de mousse, de lichens, de crins et de toiles d’araignée et garni de plusieurs centaines de plumes (jusqu’à 2'000), calé contre un tronc à la fourche d’une branche, dans le lierre ou dans les ramilles de conifères, généralement à 2-6 (0.4-10) m de hauteur ; il est moins souvent situé dans un buisson épineux ou un fourré épais près du sol. La construction par le couple, parfois aidé de 1-2 autres individus du groupe familial, débute généralement dans la première moitié de mars et dure 2-3 semaines. Les 8-10 (6-13) œufs sont généralement pondus à partir de fin mars/début avril. L’incubation par la femelle surtout dure 12-14 (18) jours et les jeunes quittent le nid au bout de 15 (14-19) jours. Alignés sur une branche, ils sont encore nourris par le couple pendant env. 1 semaine après l’envol, mais la famille reste soudée pendant tout l’hiver. Il n’y a qu’une ponte annuelle normale, souvent remplacée car les échecs sont fréquents. Des nicheurs à tête blanche ont occasionnellement été observés, notamment sur la rive sud du lac de Neuchâtel. Les nichées sont parfois nourries par 3-4 oiseaux, probablement tous issus de la même famille. La maturité sexuelle est atteinte à l’âge d’un an. La densité du peuplement, très influencée par l’habitat, culmine dans les bois riverains avec 4 couples/10 ha et dans les chênaies à charme avec 3 coulpes/10 ha. Dans une forêt mixte bordant l’Aar près de Kehrsatz BE, 3-4 couples ont été recensés sur 10 ha et dans un bois analogue près de Nyon VD 1 couple/10 ha. La fréquence peut varier fortement d’une année à l’autre en fonction de la rigueur de l’hiver.

Buchillon VD, 16 janvier 2010.