Chronique ornithologique
Points de vue et actualité ornithologique par le biologiste Lionel Maumary.La migration des Cigognes blanches bat son plein !
Le soir du 18 août, un groupe de 144 Cigognes blanches a été photographié à Pampigny VD. Ce rassemblement est exceptionnel en Suisse, puisque c'est le 2e plus grand groupe observé en Suisse après celui de 147 ind. le 28 août 2005 à Ménières FR. La migration d’automne est actuellement à son apogée, mais d’autres cigognes seront vues en migration sur le Plateau ces prochaines semaines, le gros du passage se prolongeant jusqu’à début septembre.
La sous-espèce nominale de la Cigogne blanche a une aire de distribution presque entièrement comprise en Europe continentale, du Portugal à la Russie occidentale (à l’ouest de Moscou), au nord jusqu’aux côtes de la mer du Nord et de la Baltique (golfe de Finlande) et au sud jusqu’aux côtes de la Méditerranée. Elle niche également au Maghreb, en Turquie, en Irak et en Iran. Une petite population isolée se reproduit dans la province du Cap en Afrique du Sud. Le noyau de la population se situe dans le nord et l’est de l’Europe, la Pologne, la Biélorussie et l’Ukraine hébergeant à elles seules environ 57'000 couples, soit plus de la moitié des effectifs européens. La densité est beaucoup plus faible en Allemagne (4'500 couples) et en France (430 couples), d’où proviennent la majorité des migrateurs observés en Suisse. La population d’Europe occidentale (à l’ouest d’une ligne coupant l’Allemagne en deux) migre par le détroit de Gibraltar en Espagne et, dans une moindre mesure, par l’Italie, pour aller hiverner dans la ceinture sahélienne, alors que la population d’Europe orientale passe par le détroit du Bosphore (Turquie) et au Proche-Orient pour rejoindre ses quartiers d’hiver situés en Afrique orientale jusqu’en Afrique du Sud. L’espèce est récemment devenue hivernante en nombre et partiellement sédentaire dans le sud-ouest de la péninsule Ibérique, où elle profite notamment des décharges à ciel ouvert pour se nourrir.
En Suisse, avant la disparition de la population indigène en 1950, l’espèce nichait en plusieurs régions du Plateau : la plaine de l’Orbe VD, la basse plaine de la Broye FR/VD, le Seeland BE/FR, toute la plaine de l’Aar du lac de Bienne à la jonction de la Limmat et de la Reuss et les plaines adjacentes au sud, notamment entre l’Emme et la Sarine et la vallée de la Reuss AG/ZG/ZH, les plaines de la Linth SG/SZ/GL, de la Glatt et de la Töss, celles de la Thur et de la Sitter, la campagne de Schaffhouse, la plaine du Rhin saint-galloise, le Jura argovien et bâlois et l’Ajoie JU. Actuellement, les sites de nidification sur le Plateau, implantés par l’homme pour la plupart, correspondent partiellement à cette ancienne distribution. En migration, la Cigogne blanche peut être observée en tout point du Plateau. Contrairement à la Cigogne noire, elle évite de traverser les montagnes et les grands lacs, raison pour laquelle elle passe généralement au nord du Léman, au sud du lac de Neuchâtel et à l’est et à l’ouest du lac de Constance ; elle longe régulièrement l’arc jurassien et la vallée du Rhin saint-galloise en automne. L’espèce est très rarement observée à l’intérieur des Alpes, même au col de Bretolet VS ou en Haute-Engadine GR.
L’analyse des causes du déclin de la Cigogne blanche est complexe. L’extinction de la population indigène est à mettre en relation avec la destruction de ses habitats liée à l’intensification de l’agriculture en Europe occidentale au cours du XXe siècle. En Suisse, plus que 90 % des surfaces marécageuses ont été drainées, et l’utilisation immodérée de pesticides a contribué à réduire les ressources alimentaires, ce qui a probablement entraîné la baisse du succès reproducteur. Cependant, l’évolution écologique défavorable sur les terrains de nidification ne suffit pas à expliquer l’ampleur du déclin en Europe de l’ouest jusqu’au milieu des années 80. Il a été montré que les effectifs de Cigognes blanches diminuent rapidement quand la mortalité des adultes n’augmente que faiblement. Il est donc probable que le recul des effectifs soit en grande partie dû à une augmentation de la mortalité, laquelle augmente lors d’années de sécheresses dans les quartiers d’hiver au Sahel, la nourriture s’y faisant alors rare. Il s’agit probablement là d’une des causes principales de l’important déclin observé en Europe occidentale. Le redressement ultérieur des effectifs est à mettre en rapport avec le fait que les longues sécheresses au Sahel ont diminué dans les temps récents, que l’hivernage d’un nombre croissant de Cigognes blanches ne se fait plus au Sahel mais dans le sud de l’Espagne et que des projets de réintroduction ont été menés à bien. Les câbles électriques et les pylônes constituent la cause de mortalité la plus importante pendant la migration, par collision ou électrocution. Chaque année en Suisse, un jeune sur quatre et un adulte sur 17 meurent suite à une collision contre un câble, une ligne aérienne ou une antenne. En Allemagne, 77 % des décès d’oiseaux bagués sont dus à de telles collisions, concernant surtout les jeunes inexpérimentés. Les cheminées d’usine et les châteaux d’eau à ciel ouvert sont également des pièges mortels. La sécurisation des lignes aériennes et la diminution de la pression de chasse durant la migration et sur les lieux d’hivernage sont des mesures de protection à entreprendre. De plus, la revitalisation des bas-marais, l’aménagement de nouvelles zones humides, la création de bandes-abris et l’extensification de l’agriculture offrent des sites de gagnage favorables. Ces mesures ont déjà fait leurs preuves dans les cas des prairies inondables de Roggwil BE et de revitalisation des milieux dans la vallée du Rhin saint-galloise.
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