Chronique ornithologique
Points de vue et actualité ornithologique par le biologiste Lionel Maumary.Printemps fou à Sionnet GE
Photo: Matthieu Bally
De mémoire d’ornithologue, jamais la migration de printemps n’a offert un tel défilé de raretés dans le canton de Genève, dans le marais revitalisé de Sionnet , qu’en avril 2010: 1-2 Marouettes poussins Porzana parva du 13 au 24, Bruant nain Emberiza pusilla du 17 au 28, Phragmite aquatique Acrocephalus paludicola les 18-19, Bergeronnette citrine Motacilla citreola et Ibis falcinelle Plegadis falcinellus dès le 30!
C’est l’occasion de prendre ces espèces l’une après l’autre et de s’intéresser à leur statut en Suisse.
1.La Marouette poussin
La Marouette poussin niche dans les zones tempérée et steppique du Portugal au Kazakhstan et au Xinjiang jusqu’au lac Lop Nor (Chine), le noyau de la population se trouvant dans l’ouest de la Russie. Les quartiers d’hiver se situent principalement dans la ceinture sahélienne, en Ouganda, au Kenya, ainsi que de la péninsule Arabique au Pakistan et au nord-ouest de l’Inde ; un petit nombre hiverne autour de la Méditerranée et dans le sud du Portugal. Avec env. 5'000 couples, le lac de Neusiedl, sur la frontière entre l’Autriche et la Hongrie, héberge près du tiers de la population européenne (Russie non comprise), le reste se trouvant principalement en Roumanie, Ukraine et Biélorussie.
En Suisse, l’espèce nichait autrefois probablement régulièrement sur la rive sud du lac de Neuchâtel, ce qui a pu être prouvé pour la première fois en Suisse le 15 juillet 1947 puis à nouveau le 25 juin 1948 au Fanel BE/NE et le 29 mai 1955 à Chevroux VD. Des nidifications ont également été certifiées en 1960 au marais de Kaltbrunn SG et en 1971 à Chavornay VD. Aucune nidification n’a pu être prouvée en Suisse après 1971. Dans les années nonante, des chanteurs isolés ont été entendus après mi-mai aux Bolle di Magadino TI, sur la rive sud du lac de Neuchâtel, au marais de Kaltbrunn SG et au delta du Rhin A. En migration, la Marouette poussin apparaît dans les zones humides de plaine sur le Plateau et au Tessin, rarement dans la plaine du Rhône en Valais, à Martigny notamment. La traversée des Alpes est documentée par la découverte du cadavre d’un jeune mâle d’une année le 6 avril 1951 à Göschenen UR, à 1'160 m d’altitude, ainsi que par l’observation d’un mâle le 23 mars 1996 à Scuol GR, à 1'140 m.
Le nombre de carrés d’atlas occupés est passé de 14 en 1972-76 à 5 en 1993-96, ce qui représente une diminution de 65 %. Sur les rives du lac de Constance, on compte 65 données de 1961 à 1970 contre seulement 23 de 1971 à 1980, puis 24 de 1982 à 1995. Sur la rive sud du lac de Neuchâtel, 8 chanteurs ont été recensés en 1975 entre le Fanel BE/NE et CudrefinVD, 4 chaque année de 1976 à 1978 entre Chevroux VD et Portalban FR et 4 en 1985, 1987 et 1989 entre Yverdon VD et Cudrefin VD. A Chavornay VD, l’espèce a été observée chaque année de 1971 à 1976, sauf en 1974, tout comme la Marouette de Baillon, alors qu’elle n’y est plus que très rarement rencontrée. Cette diminution est le reflet du déclin de l’espèce dans ses principaux bastions européens, notamment en Roumanie et en Ukraine.
La migration postnuptiale débute dans la dernière décade de juillet, culmine à fin août/début septembre et se termine à début octobre, quelques attardés pouvant encore être observés jusqu’à la fin de ce mois. Au printemps, les migrateurs apparaissent dès mi-mars, le passage culminant à mi-avril et se terminant à fin mai. Les rares observations de juin concernent des nicheurs potentiels. L’espèce est deux fois plus fréquente au printemps qu’en automne.
La Marouette poussin niche dans les vieux massifs de roseaux, de joncs et de laîches, bien denses et inondés, avec de petites plages de vase. Elle vit cachée dans la végétation, sortant peu à découvert. En migration, elle est susceptible d’apparaître dans toutes les zones humides de plaine possédant une végétation palustre suffisamment dense. Diurne et crépusculaire, elle se nourrit d’invertébrés picorés dans l’eau ou dans la vase, en marchant, nageant et parfois en plongeant ; des petits poissons et amphibiens sont parfois capturés. Les graines et pousses de plantes aquatiques complètent le régime alimentaire. La Marouette poussin se déplace avec agilité sur la végétation flottante et peut grimper sur les tiges de roseaux. L’espèce est généralement solitaire, mais des groupes lâches de 2-3 individus sont parfois observés au moment culminant de la migration. Le chant du mâle est une série descendante de « kouèk » répétés à intervalle de 1-2 secondes au début, puis s’accélérant en decrescendo pour finir en caquètement rapide. Les chanteurs entendus durant la nuit ne permettent pas de conclure à la présence d’un couple, les mâles non appariés étant particulièrement loquaces ; au contraire, une fois accouplés, ils réduisent fortement leur activité vocale.
L’habitat de la Marouette poussin n’a cessé de se réduire en Europe avec la destruction généralisée des roselières et de l’assèchement des marais provoquant leur atterrissement. La protection des grandes roselières, les mesures de revitalisation des marais par décapage et débroussaillage ainsi que la création de petits plans d’eau permettent la nidification de l’espèce et offrent des sites d’escale adéquats.