En juin 2012, les nidifications du Petit Gravelot et du Tadorne de Belon ont été constatées sur l'île aux oiseaux de Préverenges (avec respectivement 4 et 9 poussins). C'est la première fois que ces deux espèces réussisent à mener leur nichée à bien sur l'île aux oiseaux, malgré de nombreuses tentatives dans le cas du Petit Gravelot, grâce à la persistance des basses-eaux ce printemps. L'un des poussins de Tadorne est nettement plus âgé que les autres ; est-il issu d'une autre nichée et s'agit-il du même couple qui niche régulièrement dans une propriété privée de St-Prex depuis quelques années ? Le Petit Gravelot niche dans la plus grande partie de l’Eurasie ainsi qu’en Afrique du Nord et aux Canaries. La sous-espèce nominale niche des îles Canaries et des côtes atlantiques d’Europe et d’Afrique du Nord à la mer d’Okhotsk et le Japon ; il n’est absent pratiquement que de la toundra et des grands déserts asiatiques. Deux autres sous-espèces plus ou moins sédentaires habitant des Philippines à la Nouvelle-Guinée et de l’Inde à l’Asie du sud-est. Avec environ 30'000 couples, la Biélorussie et l’Ukraine hébergent 40 % de la population européenne (Russie non comprise). La population du Paléarctique occidental hiverne principalement en Afrique tropicale dans la ceinture sahélienne, seul un petit nombre demeurant autour de la Méditerranée. En Suisse, l’espèce se reproduit sur les grandes rivières et dans les gravières du Plateau, ainsi que sur le Rhône en Valais central et sur les fleuves Ticino et Maggia au Tessin. La grande majorité des oiseaux se cantonnent sur les îles graveleuses du Rhin, où 30-40 % de la population helvétique se trouvent entre Trübbach et Oberriet SG, sur 30 km de cours ; 8 territoires ont également été recensés en 1987 sur un tronçon de 3.5 km entre Untervaz et Landquart/Mastrils GR, qui constitue un deuxième centre de gravité. Le Liechtenstein hébergeait 12 territoires en 1996. Jusqu’à la fin des années huitante, le Petit Gravelot ne nichait qu’en dessous de 700 m mais depuis les années nonante, il colonise des sites en altitude, probablement les plus hauts d’Europe : il a niché en 1993 à 1’005 m dans le Jura à la Vallée de Joux VD et à 1'810 m dans les Alpes en Haute Engadine GR ; le record d’altitude est à 1'860 m à Pontresina GR, où l’espèce a niché entre 1996 et 1998. Les sites d’escale les plus importants sont le Chablais de Cudrefin VD/Fanel NE/BE, Yverdon VD, Chavornay VD, les Grangettes VD, Préverenges VD, l’Ägelsee TG, la retenue de Klingnau AG, le lac d’Unterlunkhofen AG, les Bolle di Magadino TI et l’embouchure de la Maggia TI. Dès le mois de juillet, des oieaux isolés ou des familles se apparaissent hors des sites de nidification ; la migration des adultes culmine vers mi-juillet alors que les jeunes sont en dispersion juvénile jusqu’à fin août, leur passage ne culminant qu’à la fin de ce mois et dans la première décade de septembre. Le passage se termine vers mi-octobre, quelques attardés pouvant encore être observés jusqu’à la fin de ce mois, exceptionnellement en novembre : les dates les plus tardives sont le 13 novembre 1952 à Yverdon VD et le 13 novembre 1997 au Chablais de Cudrefin VD. Au printemps, les premiers oiseaux apparaissent avec le mois de mars, exceptionnellement dès mi-février, la date la plus hâtive étant le 15 février 1958 au Lachener Horn. La migration bat son plein à mi-avril, diminue fortement en mai pour se terminer à la fin de ce mois. Les observations de juin concernent normalement des nicheurs. Avant 1960, l’effectifs nicheur n’a cessé de diminuer avec la destruction de l’habitat fluvial, puis il s’est régulièrement accru depuis 1966, année des premières nidifications en gravière sur la Limmat ZH et dans le Pays de Genève ; de 1972 à 1974, 9 sites artificiels ont été recensés sur territoire suisse, puis au moins 22 autres de 1975 à 1978. Cette nouvelle adaptation est à l’origine du développement de la population : on comptait moins de 20 couples en 1960, 20-25 en 1972-75, 30 en 1984, 50 en 1987-88 et 100-120 en 1993-96. Localement, les populations peuvent fluctuer fortement suivant le niveau de l’eau, la disponibilité de surfaces de gravier et les dérangements. Ceci est bien documenté dans la vallée st-galloise du Rhin, où se trouve le plus grand effectif nicheur helvétique : le nombre de couples est sensiblement plus bas les printemps marqués par des crues importantes, comme en 1999. La population européenne est quant à elle fluctuante ou plus ou moins stable. En Angleterre par exemple, l’espèce a niché pour la première fois en 1938 et s’est étendu depuis, la population atteignant 608 couples en 1984. Le Petit Gravelot niche originellement sur les îles d’alluvions et les rives dénuées de végétation des grands cours d’eau et de leurs deltas, parfois sur la plage d’un lac. Jusqu’en 1965, aucune nidification en gravière n’avait été observée en Suisse, alors que c’est devenu par la suite son milieu de prédilection. En 1993-96, les sites de nidification se répartissaient à 61 % sur les cours d’eau et leur delta, à 33 % dans des gravières et à 6 % sur des surfaces rudérales dénudées et caillouteuses telles que zones industrielles, places d’exercices militaires, terrains vagues, remblais ou champs pierreux (n = 205). Le Petit Gravelot se nourrit principalement d’insectes (adultes et larves de simulies notamment) ainsi que d’araignées, picorés à vue sur les surfaces sèches ou humides, exemptes de végétation. D’autres invertébrés tels que les vers les petits mollusques et crustacés complètent le régime alimentaire. Parfois, il tremble brièvement d’une patte portée en avant pour débusquer des larves enfouies dans le sol. En migration, le Petit Gravelot fait escale sur les plages de sable ou de galets, les grèves exondées des lacs, sur les îles et les bancs de sables, plus rarement dans les champs nus ou sur les môles enrochés et bétonnés. Dans 95 % des cas, les observations concernent des oiseaux isolés ou des petits groupes de 2-6, les groupes de plus de 15 individus étant rares. Les migrateurs séjournent souvent quelques jours au même endroit ; au printemps, les oiseaux arrivent de jour comme de nuit lors qu’en automne la migration semble plus strictement nocturne. L’appel caractéristique est un sifflement bref « piu », une longue série cadencée « grugrugrugrugru » accompagnant le vol nuptial. Dès leur retour en avril, les couples se forment par de bruyantes poursuites aériennes : le mâle s’élève en battant des ailes au ralenti, pivotant alternativement d’un côté sur l’autre, de façon à montrer tantôt le blanc éclatant du dessous du corps et des ailes, tantôt le brun terne dessus. L’installation est souvent compliquée par la remontée printanière des eaux qui noient des nids et contraint le couple à vagabonder à la recherche d’un site adéquat. Le mâle indique à la femelle l’emplacement futur du nid, une simple cuvette grattée au sol tapissée de petits cailloux, complètement à découvert, le plus souvent à proximité de l’eau. La première ponte a lieu de mi-avril à début juin, la plus précoce le 14 avril 1959 au Lachener Horn (J. Heim), la seconde ponte normale de mi-juin à début juillet. Les 4 (3-5) œufs disposés en croix, les pointes au milieu, sont couvés pendant 22-26 jours à tour de rôle pendant par la femelle et le mâle, chaque relève étant alors l’occasion d’une cérémonie discrète, souvent le seul moyen pour l’ornithologue de repérer le nid. Les jeunes peuvent voler à 28-29 jours et sont indépendants 8-25 jours plus tard. Le couple veille sur les jeunes et les conduit vers un secteur où ils pourront se nourrir eux-mêmes. L’arrivée d’un prédateur provoque l’excitation extrême des adultes, qui simulent une blessure en titubant et traînant une aile en criant pour attirer son attention sur eux pendant que les poussins se cachent. Une fois l’intrus suffisamment éloigné des jeunes, l’adulte cesse subitement sa feinte et les rejoint en effectuant une grande boucle au vol. La femelle quitte la famille avant le mâle pour pondre une nouvelle fois. Il y a normalement deux couvées annuelles et jusqu’à 3 couvées de remplacement en cas de destruction précoce. Les nicheurs sont territoriaux et agressifs envers leurs congénères, raison pour laquelle il y a rarement plus d’un couple par gravière ; des « aides » soient parfois acceptés, formant des trios. La mortalité des poussins est très élevée, plus de 60 % avant l’envol. Alors que les jeunes de l’année précédente s’installent dans un rayon de 100 km autour de leur lieu de naissance, parfois plus loin encore, les adultes reviennent fidèlement au site de nidification antérieur, pour autant qu’il reste favorable. Plus qu’ailleurs en Europe, le Petit Gravelot a fortement ressenti les effets des corrections fluviales (endiguements, canalisations, draguages et barrages), qui ont anéanti la plupart de ses habitats naturels en Suisse. Le redressement spectaculaire de la population est entièrement dû à la faculté d’adaptation de l’espèce, lui permettant d’investir de nouveaux biotopes de type pionnier. Son avenir dépend des interventions humaines, puisque la plupart des couples nichent aujourd’hui dans des sites anthropogènes : en Europe centrale, on estime à seulement 6 % la proportion de couples nichant encore en milieu naturel. L’effectif pourrait continuer à se développer positivement, à condition que les cours d’eau naturels soient préservés des dérangements et des constructions, que les gravières ne soient pas remblayées et que les terrains vagues soient laissés à la nature. Les nids situés dans les gravières sont très vulnérables aux aller et retour des camions, mais peuvent aisément être épargnés en indiquant l’emplacement du nid aux exploitants. L’espèce profite des nouvelles îles construites spécialement à son intention, qui favorisent par ailleurs le bon déroulement de sa migration. Pour le Tadorne de Belon, voir l'article 'Nidification du Tadorne de Belon en Suisse' |
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