Le 9 juin 2012 à Praz-Séchaud/Lausanne VD, vers 700 m d'altitude, je repère un chant que je ne connais pas. Quelle n'est pas ma surprise lorsque je découvre qu'il s'agit d'un mâle de Fauvette à tête noire ! Son chant ne comportait aucun élément qui pourrait trahir son espèce, avec un « leitmotiv » tout à fait original. La terminaison flûtée typique de la Fauvette à tête noire était notamment absente. Voir et surtout écouter la vidéo sur Youtube La sous-espèce nominale de la Fauvette à tête noire niche du Portugal et de la Grande-Bretagne à travers les zones climatiques tempérée et sub-boréale d’Europe jusqu’en Sibérie occidentale, atteignant au nord le Finnmark norvégien et au sud les Pyrénées, le nord de l’Italie, les Balkans, le pourtour de la mer Noire et le Levant ; la sous-espèce S. a. dammholzi se trouve du Caucase au nord de l’Iran, S. a. pauluccii aux Baléares, en Corse, en Sardaigne, en Sicile, dans la moitié sud de l’Italie et en Tunisie, S. a. heineken dans l’ouest et le sud de la péninsule Ibérique, à Madère, aux îles Canaries, au Maroc et en Algérie et S. a. gularis sur les archipels du Cap-Vert et des Açores (S. a atlantis). Avec plus de 3'000'000 de couples chacune, l’Allemagne et l’Italie sont les pays d’Europe (Russie non comprise) les plus peuplés. Les populations d’Europe septentrionale et de Sibérie sont entièrement migratrices, atteignant les zones tropicales d’Afrique occidentale d’une part et orientale d’autre part, alors que celles d’Europe occidentale et du pourtour méditerranéen sont partiellement migratrices et hivernent principalement sur le pourtour méditerranéen ; celles des îles atlantiques sont largement sédentaires. L’espèce hiverne en petit nombre en Europe à l’ouest d’une ligne reliant le Danemark à l’Italie et dans les Balkans. Les hivernants de Grande-Bretagne (dont les populations sont migratrices), proviennent du continent (aussi de Suisse depuis 1968 au moins), suivant une nouvelle route orientée vers le nord-ouest qui a évolué très récemment à partir de 1965. La Fauvette à tête noire est fidèle à ses quartiers d’hiver. L’espèce est répandue dans toute la Suisse au-dessous de 1'500 m, montant localement jusque vers 1'800 m, voire 2'000 m à Bovine sur Martigny VS, Bella Lui sur Montana VS, Grimentz VS, Aquila TI, Prato (Lévantine) TI, Anzonico TI, Stampa/Val Bregaglia GR ; le chanteur le plus élevé a été entendu à 2'200 m à Bovine sur Martigny VS. L’hivernage est régulier en plaine au-dessous de 500 m d’altitude au Tessin, dans le bassin lémanique, en Valais central et, dans une moindre mesure, dans le bassin du lac de Neuchâtel et dans le nord-ouest du pays ; il est exceptionnel dans la moitié orientale du pays. En migration, l’espèce peut être observée dans tout le pays, les observations et captures étant régulières aux cols de Bretolet VS et de Jaman VD. Les familles se dispersent hors des sites de nidification dès mi-juillet, en prélude à la migration postnuptiale qui commence fin août, culmine dans la dernière décade de septembre et dans la première moitié d’octobre et se terminant en novembre. En décembre et janvier, un petit nombre d’hivernant se concentrent au Tessin (Mendrisiotto et autour des lacs de Lugano et du lac Majeur), dans le bassin lémanique, en Valais central et dans la région de Bâle. Au printemps, les avant-coureurs arrivent dans la première décade de février, le migrateur le plus précoce étant apparu le 10 février 2000 à Praz-Séchaud/Lausanne VD 690 m. Le passage débute normalement mi-mars, culmine dans la première moitié d’avril, avec l’installation des nicheurs en plaine, pour se terminer en mai avec le cantonnement des nicheurs à haute altitude. Au cours du XXe siècle, la date d’arrivée des premiers migrateurs s’est avancée d’env. deux semaines en Suisse, comme dans le nord de l’Europe, conséquence probable du réchauffement climatique, ce qui se traduit par une ponte plus précoce ; la migration d’automne s’est retardée dans une moindre mesure. Entre les périodes d'atlas 1972-76 et 1993-96, le nombre de carrés occupés est passé de 419 à 450, ce qui représente une augmentation de 7.4 % de l’aire de reproduction helvétique, témoignant d’une légère expansion dans les Alpes. La population de la région du lac de Constance a diminué non significativement de 7.6 % entre 1980-81 et 1990-92, l’aire occupée étant demeurée inchangée. Contrairement à d’autres fauvettes, les effectifs n’ont pas diminué, comme p. ex. à la Rogivue VD, où 10-13 chanteurs ont été recensés en 1940 comme 50 ans plus tard. Les populations de cette espèce abondante ont même augmenté à la fin du XXe siècle, notamment en Allemagne, en partie grâce à l’adoucissement du climat hivernal. Avant le milieu du XXe siècle, l’hivernage n’était connu en Suisse que du Tessin, dès les années cinquante dans la région de Genève et depuis 1965 seulement en Valais central. L’hivernage est devenu de plus en plus régulier depuis le milieu des années huitante, aussi sur les rives du lac de Constance. Peu sélective quant à son habitat, la Fauvette à tête noire s’accommode de tous les types de milieux boisés tels que les bosquets, haies, lisières, clairières, jardins et parcs urbains jusqu’au cœur des villes, pour autant qu’il y ait des buissons. C’est dans les forêts claires de feuillus que l’espèce trouve son optimum écologique ; les forêts mixtes sont aussi habitées mais les peuplements purs de résineux sont évités, ce qui confine l’espèce aux abords des cours d’eau en montagne. Diurne et solitaire, elle se nourrit principalement de chenilles Lepidoptera et d’autres insectes (diptères Diptera, hyménoptères Hymenoptera, coléoptères Coleoptera, orthoptères Orthoptera), de myriapodes Myriapoda, d’isopodes Isopoda d’araignées Arachnoidea et de petits gastéropodes Gasteropoda prélevés dans les buissons et jusque dans la couronne des arbres ; elle complète son régime alimentaire avec du nectar au printemps, ainsi que des graines et de fruits en automne, notamment les baies du sureau Sambuscus, des sorbiers Sorbus, des merisiers et prunellier Prunus, de l’aubépine Crataegus, du daphné Daphne, de l’argousier Hippophae, de la vigne Vitis vinifera, du troène Ligustrum, du chèvrefeuille Lonicerade, de l’épine-vinette Berberis, de l’If Taxus baccata, du framboisier et des ronces Rubus. En hiver, les baies du gui Viscum album, du lierre Hedera helix et des cotonéaster Cotoneaster jouent un rôle prépondérant, et les mangeoires sont occasionnellement visitées ; la présence du lierre paraît indispensable comme gîte nocturne. La Fauvette à tête noire passe l’essentiel de son temps cachée dans le feuillage, sautillant d’une branche à l’autre, montant volontiers jusque dans la canopée et se montrant peu à découvert ; elle ne descend que brièvement au sol. Les migrateurs voyagent de nuit, solitairement ou en groupes lâches, des concentrations comptant jusqu’à plusieurs dizaines d’individus se produisant en certains endroits au point culminant de la migration lors de conditions météorologiques perturbées, p. ex. 68 les 22/24 avril 1999 à Chêne-Bougeries GE. Des expérimentations ont montré que les processus annuels tels que la migration, la reproduction, la mue sont contrôlés par des gènes distincts, avec de grandes variations ; le potentiel d’adaptation de l’espèce en fonction des modifications de l’environnement est particulièrement élevé. Le cri le plus fréquent est un « tak » claquant, dur et sonore, parfois répété en série rapide ou ponctués de « djjjj-djjjj » d’alarme. Le chant, émis depuis un perchoir élevé est un babil sonore, clair et mélodieux, grinçant au début et se terminant invariablement par une strophe flûtée« ti-tu-ti-tu-ti-tu », cette conclusion retentissante constituant l’essentiel du chant chez certains individus ; cette variante s’est répandue en Europe à partir des Alpes centrales depuis l’Autriche et la Bavière. La femelle peut occasionnellement chanter en sourdine. Le nid de tiges sèches et de mousse garni d’herbes fines et de crins, est plus ou moins caché (souvent moins que chez les autres fauvettes) sur les rameaux d’un buisson ou d’un arbuste (généralement feuillu mais aussi un jeune sapin ou épicéa), à une hauteur comprise entre 50 cm et 2 m, exceptionnellement jusqu’à 6 m au-dessus du sol. La construction dure moins d’une semaine, dès la dernière décade d’avril en plaine et jusque dans la dernière de mai en montagne. Les 4-5 (3-7) œufs sont généralement pondus une première fois dès mi-mai en plaine et en juin en montagne, parfois une seconde fois en juillet. L’œuf le plus précoce a été pondu vers le 6 avril 1957 à Vidy/Lausanne VD ; la nichée la plus tardive a été constatée le 11 août 1959 à Hagenbuch ZH (2 poussins âgés de 6-7 jours). L’incubation par le couple dure 11-15 jours et les jeunes quittent le nid au bout de 10-15 jours ; ils sont encore nourris par le couple pendant env. 2 semaines après l’envol. La maturité sexuelle est atteinte à l’âge d’un an. L’abondance moyenne varie enter 7 et 12 couples/10 ha. Les plus fortes densités de peuplement se rencontrent dans les jeunes stades forestiers de plaine : à Soleure, 19 territoires ont été recensés sur 11.4 ha ; 8 territoires/10 ha ont été obtenus dans une forêt de feuillus mixtes riches en chênes à Allschwil BL ainsi que dans une chênaie à charme de la Côte ; 3.5 couples/ha ont été recensés dans de jeunes plantations mixtes à Cossonay VD, 10 territoires/3.6 ha de bois mixte aux Lange-Erlen BL en 1976 et même 4 couples/ha dans un taillis bordant une eau morte à Rosenau (Haut-Rhin F) près de Bâle ; la ripisylve bordant la rive sud du lac de Neuchâtel hébergeait 24 couples/10 ha en 1989/1990 ; sur 6 km2 de zone agricole entrecoupée de bosquets, forêt riveraine et marais aux Grangettes VD, 130-138 couples ont été recensés de 1979 à 1988, principalement concentrés dans la ripisylve avec 50-60 chanteurs/km2 de 1998 à 2003. La densité des nicheurs diminue rapidement avec l’altitude : dans une hêtraie de 55 ha riche en résineux, située à 700-800 m en Suisse centrale, 2.6 territoires/10ha ont été comptés et encore 0.5 territoires/10 ha dans une hêtraie-sapinière du Chasseral BE, sur une surface de 70 ha entre 910 et 1'350 m. En zone urbaine, la densité était de 2-4 couples sur les 6.5 ha d’un cimetière à Lausanne VD entre 1953 et 1978, de 3-4 couples/10 ha au bois de Sauvabelin/Lausanne entre 1979 et 1990 et de 7 couples/10 ha au Parc Bourget/Lausanne en 1991. Cette espèce ubiquiste ne paraît actuellement pas menacée. La présence de la Fauvette à tête noire peut être favorisée par la plantation d’arbustes feuillus à baies dans les zones habitées et en préservant le lierre sur le tronc des arbres. Les vitres antibruit provoquent la mort de nombreux oiseaux par collision. |
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