Pie-grièche à tête rousse. L. Maumary. III. Pie-grièche à tête rousse Autrefois plus étendue, l'aire de nidification de la Pie-grièche à tête rousse est aujourd'hui essentiellement limitée à la région méditerranéenne. La sous-espèce nominale niche en Europe continentale au nord jusqu'en Pologne et au sud jusqu'aux Pyrénées, à la Sicile et à la Cyrénaïque (Libye), aux Balkans et à l'ouest de la Turquie, remplacée par L. s. rutilans dans la péninsule Ibérique et au Maghreb, L. s. badius aux Baléares, en Corse, en Sardaigne et à Capri, L. s. niloticus à Chypre, au Levant en Asie Mineure et en Iran. Avec près de 600'000 couples, l'Espagne héberge 90 % de la population européenne, les plus fortes densités étant atteintes dans les chênaies ouvertes de Quercus rotundifolia et les vergers d'oliviers parsemés de buissons ; la Suisse figurait parmi les 10 pays les plus peuplés avant la quasi-extinction de l'espèce. Les quartiers d'hiver se situent dans la ceinture sahélienne. De nombreux oiseaux effectuent une migration en boucle, la voie printanière étant plus orientale que celle d'automne. En Suisse, l'espèce nichait sporadiquement aux altitudes basses et moyennes du Plateau et du nord-ouest du pays (Ajoie JU, Bâle), dans les vallées du Jura, au pied des Préalpes, dans la vallée du Rhône jusqu'autour de Sierre vers l'amont, dans la vallée du Rhin jusqu'à Coire et dans les régions basses du Tessin. Dans le massif alpin, la Pie-grièche à tête rousse était limitée aux plaines et aux bas coteaux des grandes vallées ouvertes au-dessous de 900 m d'altitude, le couple le plus élevé ayant été observé à Bluche près Randogne VS 1'250 m le 6 juin 1954. Sa distribution correspondait approximativement à celle des vergers. Quelques observations en Valais (Loèche) et dans les Grisons témoignent du franchissement des Alpes. Les oiseaux indigènes quittaient les sites de nidification entre mi-juillet et mi-août, le passage postnuptial laissant des jeunes attardés jusqu'à fin septembre, rarement début octobre, au plus tard le 27 novembre 1954 à Veyras s/Sierre VS (de Palézieux). Au printemps, les avant-coureurs arrivent dans la dernière décade d'avril, au plus tôt le 4 avril 1955 au Fanel NE/BE, le 5 avril 1952 à Yverdon VD et le 7 avril 1950 à Castel San Pietro TI. Le passage culmine dans la première moitié de mai pour se terminer début juin. Le gros des nicheurs se cantonnaient autrefois dans la première décade de mai. La Pie-grièche à tête rousse s'est beaucoup raréfiée au cours du XXe siècle en Europe centrale, au point d'être aujourd'hui confinée à la région méditerranéenne. Sa disparition de nombreuses régions s'est accélérée après 1960 : elle s'est éteinte aux Pays-Bas, en Belgique, au Luxembourg, en Autriche. Elle est sur le point de disparaître en Pologne, en République tchèque, en Slovaquie, en Ukraine, en Allemagne et en Suisse : entre les périodes d'atlas 1972-76 et 1993-96, le nombre de carrés occupés est passé de 98 à 14, ce qui représente un rétrécissement de 86 % de l'aire de reproduction. Alors que l'effectif était encore estimé à 110 couples en 1977/79, il n'en restait plus qu'une vingtaine en 1996 et encore 2 en 2003. En 1978, 44 couples occupaient le Fricktal inférieur AG et Bâle-campagne contre 23 en 1992 et 15 en 1996, alors que 17 couples étaient présents dans le Fricktal supérieur AG en 1985/87 contre 5 en 1991. En Valais, où 20-30 couples étaient encore présents vers le milieu des années septante, le dernier couple a été observé en 1996 à Grimisuat. Les dernières preuves de reproduction proviennent d'Argovie et de Bâle-campagne, où l'effectif s'est effondré de 31 couples en 1992 à 4 en 2000 ; il n'en restait plus que 2 en 2003 dans les vergers de Bâle-campagne, au nord d'Ergolz et dans le Fricktal AG voisin. Dans la région du lac de Constance, la Pie-grièche à tête rousse a disparu comme oiseau nicheur régulier entre 1948 et 1977, mais il restait encore 1 couple dans le Hegau en 1990 (8 en 1980/81) ; 31 migrateurs y ont été observés de 1970 à 1980 et seulement 3 entre 1981 et 1995. Plus arboricole que la Pie-grièche grise, la Pie-grièche à tête rousse s'installe de préférence dans les grands et vieux vergers aux structures variées, où les insectes abondent au niveau du sol ; elle habitait aussi les haies et bocages parmi les cultures, les allées d'arbres le long des chemins et des routes, les parcs et fourrés de gros buissons épineux, les lisières de bois jouxtant des prairies. La présence de sol nu, à la rigueur avec une végétation très basse et clairsemée, paraît nécessaire, ainsi que les espaces libres entre les branches et la terre. La façon dont la strate herbacée est exploitée revêt une importance capitale, l'espèce préférant les prairies les moins engraissées dont la fauche partielle est échelonnée dans le temps ; les grandes pâtures extensives, complétées de structures telles que jardinets ou vignes, peuvent aussi faire l'affaire. Diurne et solitaire, elle se nourrit en été de gros insectes (coléoptères Coleoptera, orthoptères Orthoptera et chenilles Lepidotera), occasionnellement aussi de grenouilles Rana sp, de reptiles (lézards Lacerta sp., Podarcis muralis) et de micromammifères (Campagnol des champs Microtus arvalis) ; la capture de jeunes passereaux est probable mais n'a pas été signalée en Suisse. La Pie-grièche à tête rousse chasse le plus souvent à l'affût, depuis un poste dominant sur lequel elle passe l'essentiel de son temps immobile et d'où elle plonge pour capturer ses proies au sol. Son vol est plus direct que celui des deux plus grandes espèces. Elle inspecte parfois les espaces découverts en vol sur place à quelques mètres de hauteur, happe parfois les insectes au vol et les poursuit dans les feuillages et les branches. En prévision des périodes pluvieuses, les plus grosses proies sont empalées ou fixées dans une enfourchure ou l'aisselle d'une branche. Une Pie-grièche à tête rousse a été « capturée par une graminée. Les cris sont des « chrrrrret » râpeux ou des « kvik-kvik ». Le chant, le plus riche et mélodieux des pies-grièches européennes, est un babil soutenu mêlé de trilles, de sons râpeux et de bonnes imitations d'autres oiseaux, souvent émis à couvert ; il est surtout l'œuvre du mâle mais parfois aussi de la femelle, les deux partenaires pouvant chanter en duo. Des claquements de becs sont produits lors d'attaques de rivaux ou de rapaces. Le gros nid de plantes vertes, de tiges sèches et de mousse, garni de crins et de plumes, est calé sur une fourche d'une branche horizontale dominant le vide, volontiers vers son extrémité et assez haut, généralement à 3-5 (1.8-10) m au-dessus du sol. Les arbres choisis étaient surtout des poiriers et pommiers, puis pruniers, abricotiers, cerisiers, noyers, chênes, ormes, parfois des épicéas, tilleuls, peupliers, robiniers et grands fourrés épineux. La construction débutait au plus tôt fin avril, généralement dans la seconde moitié de mai. La ponte des 5-6 (4-7) œufs avait rarement lieu fin avril, généralement à fin mai/début juin ; 6 jeunes étaient déjà proches de l'envol le 7 juin 1947 aux Grangettes VD et une ponte complète de 6 œufs a été découverte le 7 mai 1947 à Katzenrüti ZH. Une seconde ponte normale avait exceptionnellement lieu en juin/juillet. Les derniers jeunes quittaient le nid vers mi-juillet, au plus tard le 28 juillet 1920 à Mies VD ; 5 œufs étaient toujours en incubation le 13 juillet 1960 à Oeschberg BE, et un couple nourrissant des jeunes fraîchement sortis du nid a été observé le 25 août 1960 près de Boussens VD. L'incubation, par la femelle surtout, dure 16 jours dès la ponte du dernier ou pénultième œuf et les jeunes quittent le nid au bout de 19-20 jours ; ils sont indépendants env. 2 semaines plus tard. La maturité sexuelle est atteinte à l'âge d'1 an. L'hybridation avec la Pie-grièche écorcheur a été suggérée en Suisse par la capture d'un hybride début mai 1865 dans les environs de Lausanne VD. La plus forte densité était observée dans les vergers autour des villages, avec env. 1 couple/km2 en moyenne ; dans la plaine de l'Aar à l'ouest de Soleure, elle avoisinait 10-20 couples/30 km2 au début du XXe siècle. Dans le bassin du Léman, la proportion était de 1 couple de Pies-grièches à tête rousse pour 20-30 couples de Pies-grièches écorcheurs. L'association à une colonie de Grives litornes a été observée. Dans de nombreuses régions d'Europe centrale et en Suisse surtout, les habitats de l'espèce ont souvent été détruits par l'abattage des vieux arbres fruitiers, les conversions en vergers à basses tiges, les remaniements parcellaires et les constructions, tandis que les traitements chimiques, les engrais et les fauches répétées ont entraîné une forte raréfaction des insectes (hannetons notamment). Cette réduction des ressources alimentaires semble être le principal facteur qui a causé sa disparition progressive à partir des années soixante ; les sécheresses du Sahel ont également joué un rôle négatif, tout comme une influence climatique atlantique en Europe, la régression n'ayant pas épargné l'Allemagne et le nord-est de la France. La Pie-grièche à tête rousse a aujourd'hui disparu comme oiseau nicheur en Suisse. |
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