Démarrage tardif chez les Sternes pierregarins (Photos: Radeau Martin Gerber, couple avec poussins René Gacond) Pour des raisons encore obscures, les Sternes pierregarins ont commencé à nicher avec un mois de retard ou en nombre très faible sur les lacs suisses en 2008. Les radeaux des Grangettes et de Verbois n’ont été occupés qu’à partir du mois de juin. Sur le lac de Neuchâtel, le site du Fanel a été pratiquement abandonné au profit des îles devant Vaumarcus, mais leurs nichées ont subi de nombreuses pertes, probablement dues à la conjonction d’un manque de nourriture et des pluies des mois de mai et juin. En Suisse, l’espèce niche en 14-16 colonies (1999-2003) réparties sur les lacs du Plateau, la plus importante étant celle du Fanel BE/NE avec 163 (143-176) couples en moyenne entre 1999 et 2003, soit 38 % de l’effectif helvétique moyen durant la même période. Les autres colonies comptant plus de 10 couples (moyenne 1999-2003) se trouvent à Verbois GE, aux Grangettes VD, au Lengwiler Weiher TG, à Salavaux VD, à Cheseaux-Noréaz VD, à Romanshorn TG, à Rapperswil SG, au Nuolener Ried SZ et au Greifensee ZH. En zone limitrophe, il existe deux grandes colonies au lac de Constance au Rheindelta A et au Wolmatinger Ried D; le delta de la Dranse F accueillait en moyenne 25 couples de 1976 à 1992 mais a été déserté depuis. La plupart des sites de nidification se situent entre 280 et 430 m d’altitude, le plus élevé étant depuis 1996 le radeau du lac de la Gruyère FR à 680 m. En migration, l’espèce peut être observée sur tous les plans d’eau du Plateau, irrégulièrement dans le Jura, à l’intérieur des Alpes et au Tessin. Hors des sites de nidification, les plus grandes concentrations de migrateurs sont observées à Genève, dans une moindre mesure à Préverenges VD et Yverdon VD. Des familles et des oiseaux isolés sont observées jusqu’à fin août, parfois jusqu’à fin septembre sur le Léman, dans la baie d’Excenevex F et près de Genève surtout. Les premiers migrateurs arrivent dès fin mars, la migration culminant dans la seconde moitié d’avril sur le Léman et le lac de Neuchâtel, dans la première moitié de mai sur le lac de Constance. Des estivants non nicheurs sont régulièrement observés en juin et juillet loin des colonies. Au XIXe siècle, la Sterne pierregarin était plus fréquente que la Mouette rieuse en Suisse. Ses effectifs ont fortement diminué jusque dans la deuxième moitié du XXe siècle, avant de se rétablir grâce à la mise à disposition de sites de nidification artificiels. Les corrections fluviales et l’exploitation des graviers ont causé la disparition des colonies en sites naturels. En 1952, il ne subsistait plus que la colonie du Fanel, sauvée par l’aménagement d’un îlot artificiel en 1929 ; puis des radeaux, plateformes et îles de gravier ont permis à la colonie de se développer dès 1963. Un aménagement semblable a fixé une colonie à la retenue de Klingnau AG à la fin des années 50, de même que des radeaux recouverts de gravier aménagés entre autres sur le haut lac de Zurich SG/SZ à Nuolen SZ et Jona SG, au Greifensee ZH, au Lengwiler Weiher TG et au Nussbaumersee TG, à Verbois GE, aux Grangettes VD et au lac de la Gruyère FR. Grâce à la création de ces sites de nidification artificiels, les effectifs sont passés de 60 couples en trois sites en 1940 à 218 en 1976 ; l’effectif était de 235 (201-259) couples dans les années 80, est monté à 349 (250-405) dans les années 90 pour atteindre 432 (393-457) en 2000-03. Les couples se forment dès l’arrivée à proximité des sites de nidification, à l’occasion de cérémonies nuptiales démonstratives : les partenaires se saluent en criant avec des courbettes, ailes pendantes, le mâle offrant des poissons à la femelle avant qu’elle accepte l’accouplement. Les partenaires se livrent à des poursuites aériennes bruyantes en battant des ailes au ralenti, avec de brusques virages et des piqués au-dessus du site de nidification. Le nid est une cuvette peu profonde garnie de débris végétaux à même le sol graveleux, sablonneux ou limoneux, de préférence pauvre en végétation, parfois aussi à même le rocher sur des môles artificiels, exceptionnellement sur un amas de roseaux, touradon ou une balise. La construction débute 3 semaines après l’arrivée des nicheurs sur le site de nidification et dure en général 1-2 jours. La ponte des 2-3 (1-4) œufs, à un jour d’intervalle, débute au plus tôt dans les premiers jours de mai, en général vers le milieu de ce mois. L’incubation, par le couple, débute souvent avec la ponte du 1er œuf ; la durée d’incubation est de 23 (20-26) jours. Les jeunes sont capables de voler à 23-27 jours, mais sont encore nourris jusqu’au départ en migration, qui s’effectue en famille ; ils sont indépendants à 2 mois. Il n’y a qu’une ponte annuelle normale, mais jusqu’à 2 pontes de remplacement peuvent avoir lieu en cas de destruction de la première couvée, souvent par noyade lors de crues. Les derniers jeunes s’envolent mi-septembre. Certaines années, les colonies peuvent être temporairement désertées en cas de pénurie de nourriture, d’une prédation ou de dérangements trop importants. En Suisse, la Sterne pierregarin est aujourd’hui entièrement dépendante des interventions humaines en raison de l’altération de ses habitats résultant des corrections fluviales. La création de sites artificiels a permis à la population helvétique de se rétablir, les sites naturels ayant presque tous disparu pendant la première moitié du XXe siècle. La population reste toutefois petite et le succès de reproduction est faible, les couvées étant vulnérables face aux intempéries, crues, dérangements ou prédateurs que sont le Rat surmulot Rattus norvegicus, le Milan noir, l’Autour des palombes, le Goéland leucophée, la Chouette hulotte ou la Corneille noire, certains individus spécialisés pouvant entièrement anéantir une colonie. L’île neuchâteloise du Fanel, où l’espèce a niché entre 1970 et 1980, a été abandonnée par l’espèce en 1981 à cause du Goéland leucophée. La contamination des oiseaux par des PCB et des organochlorés accumulés avant tout lors des séjours dans les quartiers d’hiver africains influence négativement le succès de reproduction par une fragilisation de la coquille des œufs. Il serait souhaitable de promouvoir la surveillance des sites de nidification existants, la création de nouvelles possibilités de nidification telles que radeaux, plateformes ou îlots de gravier en des lieux adéquats ainsi que la revitalisation des eaux courantes, en restaurant la dynamique alluviale naturelle permettant la formation de deltas. Afin de limiter la prédation sur les poussins, des caches devraient être aménagées sur les sites de nidification. |
A propos de Lionel Maumary |