L'art. 6 du Règlement sur la manoeuvre de l'ouvrage de régulation du niveau du lac Léman à Genève stipule que: "Si des circonstances particulières le justifient, le département de l'intérieur de l'agriculture et de l'environnement peut en tout temps donner des instructions concernant les volumes et débits à évacuer par l'ouvrage du Seujet." Retarder la remontée des eaux semble être la seule solution dans le cas présent, d'une part car le nid d'Eider est une cuvette dans un banc de coquilles vides de corbicules garnie de duvet et, d'autre part, car le banc de sable sera entièrement englouti peu après le nid. Un réhaussement de ce dernier ne semble donc pas réalisable. Contactés pour une demande urgente de retarder la remontée des eaux, les services cantonaux concernés ont répondu favorablement à notre demande, tout en précisant qu'il n'était pas possible de donner des garanties quant au maintien d'une cote basse du Léman jusqu'à l'horizon du 6 juin. La régulation du niveau du Léman dépend d'un acte intercantonal et international, et dépend donc de nombreux facteurs. En effet, à cette période de l'année, le niveau du lac remonte naturellement en raison de la hausse des températures, et elles sont particulièrement élevées en ce moment, ce qui accélère la fonte des neiges et des glaces. Si, dans le même temps, des précipitations viennent s'ajouter à ce phénomène, les apports au Léman peuvent être supérieurs à la capacité d'écoulement à Genève, conduisant à une remontée inéluctable du niveau. D'autres phénomènes météorologiques peuvent également conduire à des remontées locales du niveau comme les "sèches" provoquées par le passage d'une dépression et qui peuvent faire osciller le plan d'eau avec une amplitude allant jusqu'à une vingtaine de centimètres. En collaboration avec les services industriels de Genève (SIG), le Service de l'écologie de l'eau nous a toutefois confirmé que le niveau du lac devrait rester stable encore pendant les premiers jours de juin. Il ne reste plus qu'à croiser les doigts... L'Eider à duvet a une distribution circumpolaire. La sous-espèce nominale niche principalement des côtes d'Ecosse, de Scandinavie (Baltique, détroit de Kattegat et mer du Nord) et de la mer Blanche jusqu'en Nouvelle-Zemble (Russie). Quelques couples nichent également sur les côtes d'Allemagne, des Pays-Bas et de France. Une population isolée comptant en moyenne 1'800 couples niche sur les côtes ukrainiennes de la mer Noire. La sous-espèce S. m. borealis niche au bord de l'océan arctique en Islande, au Groenland, au Svalbard et sur l'archipel François-Joseph, et une sousespèce distincte, S. m. faeroeensis, se trouve aux îles Féroé. D'autres sous-espèces sont réparties dans l'arctique sibérien et canadien ainsi qu'en Alaska. Avec 300'000-400'000 et 300'000 couples respectivement, la Suède et l'Islande se partagent plus de 60% de la population européenne. L'Eider à duvet est partiellement sédentaire en Europe, hivernant principalement sur les côtes de la mer du Nord et du détroit de Kattegat. La Suisse se situe loin au sud de ses quartiers habituels de nidification et d'hivernage. L'Eider y est pourtant un migrateur, hivernant et estivant régulier sur les plus grands lacs du Plateau, irrégulier dans les Alpes (alors surtout sur les lacs de Haute-Engadine GR vers 1'800 m notamment), dans le Jura et au Tessin. Des troupes séjournent toute l'année sur le Léman devant Les Grangettes VD et sur le Petit-Lac entre Dully VD et Rolle VD, sur le lac de Neuchâtel au Fanel BE/NEAVD ainsi qu'au lac de Constance, où un site de mue accueille régulièrement des oiseaux pendant l'été à la baie de Schachen à Lindau D. L'espèce niche même depuis 1988, avec un effectif compris entre 1 et 4 couples se reproduisant presque chaque année dans la région de Rapperswil SG, les lacs de Neuchâtel (Fanel BE/NE), de Walenstadt SG/GL et des Quatre-Cantons. D'autres nidifications connues en Europe centrale proviennent du Zeller See en 1975, dans le Tyrol autrichien (Salzburg A) et en 1984 de Bavière D. En Italie, la première reproduction a eu lieu en 1999 dans la province de Gorizia. Lors d'années à invasion, les oiseaux, le plus souvent des jeunes, peuvent déjà arriver en septembre. Une partie de ces oiseaux continuent leur route vers le sud, comme l'ont montré les reprises d'oiseaux bagués et l'invasion de 1988, qui a eu des répercussions jusqu'en Méditerranée. Les effectifs augmentent généralement en novembre pour culminer fin décembre ou début janvier. Ils restent stables jusqu'en avril, ne diminuant sensiblement qu'à partir de mi-mai avec le départ d'une partie des hivernants. Il est probable que la plupart des jeunes arrivant en automne passent leurs deux premières années dans les quartiers d'hiver jusqu'à ce qu'ils atteignent leur maturité sexuelle. Cependant, certains oiseaux ne retournent jamais dans leur pays d'origine et se sédentarisent, à l'instar de l'oiseau finlandais sur le lac de Sempach LU. L'Eider était autrefois une grande rareté en Suisse: sur le Léman, l'espèce n'a été signalée que 15 hivers de 1905 à 1954. L'apparition d'un groupe de 10 le 28 septembre 1922 près de Genève constituait un événement exceptionnel à cette époque. Ce n'est qu'à partir de l'automne 1955 que l'espèce a régulièrement été observée sur le Léman et dès l'hiver 1957/58 sur le lac de Constance et dans toute la Suisse. Le premier afflux bien documenté a eu lieu en 1959/60. Un afflux plus important a eu lieu pendant l'hiver 1971/72, avec plus de 303 individus observés mi-novembre sur le lac de Constance et 163 mi-janvier sur le Léman. Ce phénomène a pu être mis en relation avec un grand succès de reproduction dans la Baltique. Le dernier et plus important afflux a eu lieu en automne 1988, et a laissé pendant les hivers 1988/89 et 1990/91 des troupes comptant jusqu'à 265 oiseaux sur le Léman et jusqu'à 400 sur le lac de Constance. Ces arrivées ont conduit à un effectif record en janvier 1990, où on comptait 622 individus pour toute la Suisse (rives limitrophes comprises), ainsi qu'à des observations à l'intérieur des Alpes. L'effectif diminue régulièrement depuis, n'ayant plus été alimenté par aucun afflux pendant les années 90. Faisant suite à l'augmentation des effectifs d'hivernants dès le début des années 70, de petits groupes d'Eiders ont commencé à estiver régulièrement. La première nidification en Suisse a eu lieu en 1988 à Rapperswil SG. Dès 1992, l'espèce a niché chaque année (sauf 1998 et 2000) dans les sites suivants: Quinten SG (1992), Reussdelta UR (1993 et 1996), Gersau SZ (1994), Fanel BE/NE (1994-97), Mols/Quarten SG (1996), Walenstadt SG (1997) et Rapperswil SG (1999, 2001-03). Il y eut au maximum 4 nichées en 1996. Exclusivement aquatique et surtout diurne, l'Eider se tient souvent au large, où il peut profiter des bancs de moules qui échappent aux autres plongeurs. En effet, il est capable de descendre à des profondeurs de 15-30 m et de rester immergé pendant plus d'une minute (au maximum 78 s). Il plonge systématiquement en entrouvrant les ailes, dont il se sert pour se propulser sous l'eau. Les poissons sont parfois capturés et un individu est mort étouffé par une Perche Perca fluviatilis; les écrevisses constituent également une source de nourriture appréciée. Grégaire, l'Eider à duvet se tient le plus souvent en groupes comptant jusqu'à 40 individus (95% des données, 1985-2003), rarement plus de 80 oiseaux. Les plus grands rassemblements estivaux, de 100-200 oiseaux, datent de 1989 et 1990, suite à l'invasion de l'automne 1988. Certains individus peu farouches observés après les afflux, ou peut-être échappés de captivité, se rapprochent du rivage où ils se mêlent aux Canards colverts pour quémander du pain. Vers la fin de l'hiver, surtout par temps calme et couvert, les oiseaux manifestent leur velléité de reproduction par des parades, les mâles au paroxysme de l'excitation s'exclamant «waoou» en bombant le torse. Les milieux occupés sur les rives de nos grands lacs, entre 400 et 430 m d'altitude, correspondent aux deux types d'habitats principaux des côtes maritimes: les nids sont posés soit à proximité de rivages en pente douce comme sur les îles du Fanel BE/NE, soit dans les enrochements le long de rives verticales comme au lac de Walenstadt. Le nid est une cuvette garnie de plumes de duvet, à l'abri d'un rocher ou de la végétation herbacée, parfois complètement à découvert. Les 4-6 (1-8) oeufs sont généralement pondus entre mi-avril et fin mai et sont incubés pendant 25-28 jours; les jeunes sont capables de voler à 65-75 jours. La plupart des familles sont découvertes entre mi-mai et début juillet, au plus tard début août. Des familles mixtes avec des poussins de Nette rousse ou de Colvert sont occasionnellement observées. Parallèlement à l'amélioration de la sécurité, la prolifération de la Moule zébrée Dreissena polymorpha a sans doute été déterminante pour retenir les Eiders, ce coquillage assurant dès les années 70 leur alimentation quasi exclusive. Plus d'une fois cette espèce a été prise pour cible en raison de sa taille et de son naturel confiant. Pendant l'hiver 1959/60 par exemple, 14 oiseaux qui se tenaient à Versoix GE ont tous été tirés en moins de 2 semaines. L'accroissement généralisé en Europe trouve ses origines dans l'amélioration des mesures de protection contre la collecte des oeufs et du duvet, ainsi que dans la création de grandes réserves naturelles et l'eutrophisation de la Baltique qui améliore l'offre en nourriture. Les marées noires et la chasse intensive constituent encore régionalement des menaces potentielles. |
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