Traditionnellement en cette dernière décade du mois d’août, les Pluviers guignards adultes font escale sur nos montagnes, précédant les jeunes qui suivront début septembre. Surtout lorsque les conditions météorologiques sont défavorables en montagne (précipitations, vent), une partie d’entre eux se posent en plaine, notamment dans la plaine de la Broye, comme les individus photographiés ici. Mais c’est sur les hauts plateaux des Alpes et les sommets dénudés du Jura qu’on a le plus de chances de le rencontrer… Le Pluvier guignard niche sporadiquement dans la toundra côtière arctique et en montagne à l’intérieur des terres, où il retrouve le même type de terrain caillouteux et sec, recouvert par endroits d’une végétation rase ou de lichens, qu’il recherche également pendant la migration. Les quartiers d’hiver principaux de la population européenne sont les zones côtières, steppes, semi-déserts et hauts plateaux arides du Maghreb. En Suisse, les migrateurs font généralement escale sur les replats caillouteux et les pelouses alpines et sur les pâturages des crêtes jurassiennes. En plaine, ils se posent dans les champs labourés ou les terrains graveleux. Plutôt diurne, le Pluvier guignard se nourrit principalement d’invertébrés (adultes et larves d’insectes notamment) picorés au sol à vue, parfois en trépignant du pied à la manière des gravelots. L’extraction de coléoptères du genre Aphodius des bouses de vaches a été observée le 2 octobre 1985 au sommet du Suchet VD. Les adultes ne s’arrêtent guère plus d’une journée, mais les jeunes séjournent parfois quelques jours par beau temps, au maximum 8 jours du 6 au 13 novembre 1988 à Ependes VD en association avec des Vanneaux huppés. Moins grégaire en migration qu’en hivernage, le Guignard est le plus souvent observé isolément ou en compagnies lâches de 2-6 (83 % des données, 1950-2003), parfois jusqu’à 15 individus, rarement plus. Divers cris de contact sont émis par les oiseaux en migration, au vol un « purrr » roulé semblable à celui du Bécasseau variable, au sol des « puit-puit » doux. L’espèce est particulièrement peu farouche. La migration d’automne (98 % des observations, 1985-2003), débute mi-août avec le passage des adultes (notamment des femelles qui partent avant les mâles), culminant dans la dernière décade de ce mois ; les jeunes suivent 15 jours plus tard. Le passage décline brusquement fin septembre, pour ne laisser que quelques attardés en octobre et novembre. Les données de novembre se situent toutes aux basses altitudes; il est possible qu’il s’agisse là de migrateurs sibériens. L’année 1966 fut particulière à cet égard, avec 4 observations de novembre, dont 2 troupes d’une dizaine d’individus; ces apparitions furent provoquées par des conditions météorologiques difficiles, bloquant les migrateurs au pied des Alpes après un afflux d’air froid. L’espèce était beaucoup plus fréquente en Europe au XIXe et jusqu’au début du XXe siècle : au printemps 1884, 5'200 (!) oiseaux ont été tirés dans la région de Ringkøbing au Danemark, où les groupes de plus de 100 sont rares de nos jours; en mai 1927, 5'000-6'000 (!) individus ont été signalés près de Calais. En Finlande, la population actuelle ne représente que 1-10 % de ce qu’elle était au XIXe siècle, bien que sa distribution n’ait pas changé. La population du Pluvier guignard a été décimée depuis 1850 et n’est plus aujourd’hui qu’un vestige de ce qu’elle était autrefois. Trop confiante, cette espèce était victime d’une chasse excessive, aussi bien dans ses quartiers d’hiver au Maghreb qu’en Scandinavie. Les cris de détresse d’un oiseau blessé attirent ses congénères, ce qui permettait de les tirer jusqu’au dernier d’un groupe, comme l’expliquaient les manuels de chasse. Les déclins après 1970, aussi constatés dans les Alpes autrichiennes, semblent être indirectement dus à l’emploi de pesticides contre les criquets dans ses sites d’hivernage en Afrique du Nord. En outre, les sites de nidification sont menacés par la pression croissante du tourisme en montagne et le réchauffement climatique. L’austérité du climat qui règne sur ses sites de nidification, qui n’ont guère été altérés, est sa meilleure alliée. |
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