Le Tournepierre d’Excenevex en décembre 2000. Remarquable fidélité Depuis janvier 1998 au moins, un Tournepierre est revenu hiverner chaque année sur la plage d’Excenevex (Haute-Savoie F). Il est à nouveau de retour depuis début décembre 2009. La longévité chez cette espèce pouvant atteindre une vingtaine d’années, il y a de fortes chances – à moins d’un accident - qu’on revoie cet oiseau pendant encore quelques années... Le robuste Tournepierre doit son nom à son comportement alimentaire particulier, débusquant les proies cachées en retournant les pierres ou les débris végétaux de son bec court et conique. Tel un bulldozer tranquille mais déterminé sur ses courtes pattes, il renverse les objets susceptibles d’abriter une proie sur son passage, poussant les plus lourds de la poitrine. Inféodé au littoral tout au long de l’année, c’est un migrateur rare à l’intérieur du continent, qui s’arrête surtout lorsque les conditions météorologiques sont défavorables. En effet, sa lourdeur n’est qu’apparente et il est capable de vols de près de 4'000 km sans escale au-dessus de l’océan ! Les dessins contrastés de la tête et les marques blanches en vol sur les ailes sont uniques. L’adulte est joliment bariolé de roux, de noir et de blanc, avec les pattes orange vif ; les motifs de la tête sont estompés chez le jeune et les pattes sont plus ternes. Le Tournepierre a une distribution circumpolaire ; la sous-espèce nominale nichant du nord-est du Canada, au Groenland et dans tout le nord de l’Eurasie de la Scandinavie à la péninsule des Tchouktches et dans l’ouest de l’Alaska, remplacée par une autre sous-espèce dans la majeure partie de l’Arctique canadien. La population paléarctique hiverne des côtes de la mer du Nord à celles d’Afrique jusqu’au Cap, de l’océan Indien, d’Australie et de Nouvelle-Zélande, ainsi que sur les îles de l’Atlantique et du Pacifique ; celle du Canada hiverne sur les côtes du sud des Etats-Unis, dans le golfe du Mexique et en Amérique du sud jusqu’au nord Chili et de l’Argentine. Les oiseaux européens hivernent sur les côtes tropicales et subtropicales d’Afrique alors que ceux observés en hiver en Europe centrale proviennent du nord-est du Canada, du Groenland et de Sibérie occidentale. Avec plus de 8’000 couples, la Norvège héberge près de la moitié de la population européenne. En Suisse, l’espèce fait escale sur les rives des grands lacs du Plateau et du Tessin, rarement à l’intérieur des Alpes. Les sites d’escale les plus fréquentés sont le Chablais de Cudrefin VD, Yverdon VD, les Grangettes VD, Genève, la baie de Steinach SG, le delta du Rhin A et Excenevex F. Des hivernages isolés ont eu lieu à Genève, au delta du Rhin A et à Excenevex F. La migration postnuptiale, débute en juillet avec les adultes, atteignant un premier maximum à début août, puis culmine à fin août/début septembre avec l’arrivée des jeunes, diminue rapidement en septembre pour se terminer à mi-octobre. Un oiseau est fidèlement revenu chaque hiver à Excenevex F de 1998 à 2009 au moins. La migration de printemps débute généralement vers mi-avril, culmine dans la première moitié de mai et se termine à fin juin. La migration d’automne est représentée par 60 % des observations mais la fréquence saisonnière dépend de la situation géographique : à Yverdon VD, 87 % des observations ont lieu en automne alors qu’à Préverenges VD, 90 % sont printanières. Le nombre d’observations annuelles a légèrement diminué entre 1962-84 et 1985-96 mais les effectifs fluctuent fortement d’une année à l’autre ; la migration prénuptiale fut plutôt faible dans les années nonante, sauf en 1998. La population scandinave est stable mais celle du sud de la Baltique a décliné au cours du XXe siècle, notamment dans le golfe de Finlande après 1960. Les effectifs hivernant sur les côtes européennes ont considérablement augmenté depuis les années septante, probablement en raison du réchauffement climatique. Le Tournepierre niche dans la toundra sur les côtes pierreuses de l’Arctique ainsi que sur de petits îlots dans la Baltique. En migration et en hivernage, il fréquente les vasières, bancs de sables, plages de sable ou de galets, îlots de gravier, môles enrochés et bétonnés sur les rivages lacustres ouverts, rarement les champs inondés ou les gravières. Diurne, il se nourrit de divers invertébrés aquatiques picorés à vue, parfois en retournant les cailloux et les débris végétaux ; ce comportement pourtant caractéristique sur le littoral marin est peu observé sur nos rivages lacustres. Il apprécie particulièrement les rochers recouverts d’une pellicule d’algues à l’interface. Le Tournepierre est le plus souvent solitaire, parfois en petits groupes de 2-5 individus, rarement plus. Il séjourne volontiers quelques jours dans les sites d’escale favorables, surtout ceux possédant des îlots ou blocs erratiques utilisés comme refuge nocturne. L’espèce est très fidèle à ses sites d’hivernage, comme en témoigne les retours successifs à Genève et Excenevex F. La migration des jeunes s’effectue de nuit mais les adultes volent aussi pendant la journée, à une vitesse variant de 45 à 64 km/h ; une reprise a été effectuée à 820 km le jour suivant le baguage et une performance plus remarquable encore est celle d’un oiseau bagué aux îles Pribilof (Alaska), retrouvé 3 jours et demi plus tard dans les îles Hawaï, 3'656 km en ligne droite au-dessus de l’océan. Le cri à l’envol est un « kutt » bref et nasal, souvent répété en séries rapides. Les jeunes sont particulièrement peu farouches et peuvent parfois être nourris à la main. |
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