Photo: Léon Daucourt Depuis le début de l'année, environ 1 million de Pinsons du Nord se rassemblent chaque soir en Ajoie JU à Vendlincourt. Ils viennent profiter de la manne offerte par les hêtres, qui ont produit un nombre impressionnant de faînes l'automne passé en Suisse. Les vols tournoyants tels des bancs de poissons au-dessus des dortoirs constituent un des spectacles les plus fascinants qui soient. De telles concentrations ne sont connues chez aucun autre oiseau en Suisse, un seul dortoir pouvant rassembler la quasi-totalité de la population européenne ! Issu de la taïga, ce grand voyageur accompagne souvent à son cousin des arbres pendant la migration, se trahissant en vol par son cri nasillard ou par son croupion blanc. Le Pinson du Nord niche dans la ceinture de la taïga et de la forêt sub-boréale d’Eurasie, du sud de la Norvège au Kamtchatka. La Fennoscandie héberge la totalité des quelque 4'500'000 couples nicheurs en Europe (Russie non comprise). La population du Paléarctique occidental hiverne dans toute l’Europe occidentale et méridionale ainsi qu’en Turquie et au Levant, celle du Paléarctique oriental hivernant en l’Asie centrale et de la Mandchourie au centre de la Chine ainsi qu’au Japon. Le Pinson du Nord est un migrateur et hivernant répandu dans toute la Suisse, faisant escale dans les éteules et dans les hêtraies. Des dortoirs phénoménaux, regroupant jusqu’à 10'000'000 individus, se forment certains hivers aux abords du Plateau. Des concentrations plus modestes se produisent en automne sur les cols alpins, ainsi que dans les défilés jurassiens ainsi que sur les rives des grands lacs- En automne, les premiers Pinsons du Nord apparaissent dès mi-septembre sur les cols alpins (Bretolet VS, la Croix VD, Jaman VD), le passage s’affirmant début octobre, culminant dans la seconde moitié de ce mois et se terminant mi-novembre. Les mâles et les adultes migrent en moyenne plus tôt que les femelles et les jeunes. Le nombre d’hivernants est très variable d’une année à l’autre, suivant la fructification des hêtres qui peuvent en attirer des millions. Lors des hivers à invasions, l’arrivée des hivernants succède à la migration d’automne normale (alors réduite et impliquant plus d’adultes que de jeunes), dès novembre ou décembre, voire seulement en février. Ils se concentrent alors dans des dortoirs pouvant héberger jusqu’à 10'000’0000 d’oiseaux comme de décembre 1999 à mars 2000 à Vaulruz FR 800 m, d’où ils rayonnent pendant la journée pour atteindre leurs gagnages parfois situés à plus de 40 km. La migration de printemps, difficile à définir, a lieu surtout en mars et se termine en avril. Des mâles isolés peuvent encore être observés jusqu’à mi-mai, voire en juin. Au cours du XXe siècle, la date d’arrivée des premiers migrateurs s’est avancée d’env. deux semaines dans le nord de l’Europe, conséquence probable du réchauffement climatique, ce qui se traduit par une ponte plus précoce. A intervalle irréguliers, des invasions massives, comprenant des centaines de milliers, voire des millions d’individus, se produisent en hiver lorsque la fructification des hêtres est confinée à la Suisse et que d’importantes chutes de neige contraignent les oiseaux qui tentent d’hiverner dans le nord de l’Europe à fuir vers le sud. Le XXe siècle a connu 20 afflux massifs avec des concentrations de 100'000 Pinsons du Nord et plus : 1900/01, 1922/23, 1924/25, 1946/47, 1950/51, 1953/54, 1960/61, 1965/66, 1968/69, 1974/75, 1976/77, 1977/78, 1982/83, 1984/85, 1986/87, 1987/88, 1990/91, 1992/93, 1995/96, 1999/2000 (Vaulruz FR) et 2001/2002 (Ajoie JU). Lors des hivers à invasions de 1977/78 (Kernwald et Röserental) et de 1982/83 (Neuenkirch LU), la proportion d’adultes était de 63-66 %, les mâles dominant nettement. Le Pinson du Nord niche dans la taïga, où sa densité dépend de l’abondance des chenilles de Epirrita autumnata. Diurne et grégaire, il se nourrit en automne et en hiver de graines (faînes), baies et autres fruits prélevés au sol constituent l’essentiel du régime alimentaire, les mangeoires, tas de fumier et composts étant aussi fréquentés. En automne, les Pinsons du Nord se regroupent en troupes parfois importantes pouvant compter plusieurs centaines, voire milliers d’individus dans les éteules de maïs, souvent mêlées de Pinsons des arbres, Verdiers d’Europe, Linottes mélodieuses, Chardonnerets élégants, Moineaux friquets ou Bruants jaunes. Ils se nourrissent alors presque exclusivement en déambulant au sol, de préférence à proximité du couvert des arbres où ils se réfugient à la moindre alerte. Au printemps, les insectes sont parfois aussi recherchés dans le feuillage de la canopée, à l’instar du Pinson des arbres. Lors des invasions, les Pinsons du nord, en groupes compacts, recherchent presque exclusivement les faînes tombées sous les hêtres. Les dortoirs, qui peuvent regrouper plusieurs millions d’individus, sont situés à proximité de hêtraies dont la fructification a été abondante pendant l’automne, et d’où ils rayonnent sur plus de 40 km chaque jour à la recherche de faînes, tous ensemble ou en groupes dispersés ; ainsi les oiseaux du dortoir préalpin de Vaulruz FR atteignaient le pied du Jura vaudois. Le matin, les premiers oiseaux s’élancent à l’aube vers une ressource abondante repérée la veille, les suivants s’encolonnant derrière sur plusieurs dizaines de kilomètres ; le retour de la colonne s’effectue dès la fin de l’après-midi, se prolongeant jusqu’après la tombée de la nuit. Les raids s’abattent sur une région cible pendant un ou plusieurs jours, la destination se modifiant radicalement du jour au lendemain en fonction des ressources disponibles. Les dortoirs se forment généralement dans des sites abrités de la bise et de l’air froid ; situé dans une des régions les plus froides du canton de Fribourg, le dortoir de Vaulruz était atypique à cet égard car très exposé aux vents et au froid, des températures de -20 °C ayant sévi pendant le séjour des pinsons. Les femelles se tiennent plutôt sur la périphérie du dortoirs et les mâles au centre ; les adultes et les jeunes se trouvent indifféremment en périphérie ou au centre, mais les adultes regagnent avant les jeunes le dortoir, au-dessus duquel les vols tournoient tels des bancs de poissons jusqu’à la tombée de la nuit ; les oiseaux se trouvant au centre du dortoir sont les plus lourds, et une forte compétition pour la position au sein du dortoir ont été constatées. La migration régulière d’automne s’effectue de jour en groupes plus lâches, souvent à faible hauteur ; les Pinsons du Nord évitent de traverser les grands lacs. L’Epervier d’Europe est le principal prédateur de l’espèce, aux dortoirs aussi l’Autour, le Faucon pèlerin, la Buse variable et la Chouette hulotte. De nombreux oiseaux sont foudroyés d’épuisement en plein vol ou se tuent contre des câbles ou des voitures lorsque la colonne traverse des routes. Le dortoir de Vaulruz FR a été frappé de plein fouet par l’ouragan « Lothar/Martin » pendant la nuit du 27 au 28 décembre 1999, alors qu’il abritait la quasi-totalité de la population européenne ; au matin du 28 décembre, le sol sous le dortoir est jonché de cadavres et d’oiseaux blessés. La papillomatose est une maladie virale fréquente chez le Pinson du Nord, provoquant l’apparition d’excroissances sur les pattes. Le cri typique est un « djuèèèk » nasillard, émis au vol ou posé ; les groupes de migrateurs lancent fréquemment des « yèp » plus durs. Le chant, très rarement entendu en Suisse, est un « rrrrrrruiih » bourdonnant et mélancolique rappelant celui du Verdier d’Europe, régulièrement répété sur un rythme lent. Quelques observations estivales ont suggéré des nidifications en Suisse, comme celle signalée en 1918 au Zurichberg, insuffisamment documentée. L’espèce a déjà niché dans les Alpes italiennes et autrichiennes, ce qui rend plausible sa nidification dans les Grisons, où plusieurs observations ont été effectuées depuis 1976 en Engadine et au val Breggaglia. |
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