Plutôt sédentaire dans la région méditerranéenne, la Lusciniole à moustaches nous vient de l'est de l'Europe, où son comportement migratoire est plus marqué: un taux exceptionnellement élevé de reprises –le quart des oiseaux capturés étaient bagués! – a permis de mettre en évidence que la majorité de ces oiseaux proviennent du Neusiedlersee A. Ce n'est que dans la seconde moitié du XXe siècle que la Lusciniole est apparue en Suisse pour la première fois et, dès les années 70, elle a même tenté de coloniser la Grande Cariçaie du lac de Neuchâtel, où elle a niché en 1981, puis en 2004 et 2005 au moins. La sous-espèce nominale de la Lusciniole à moustaches est confinée en Europe à la côte de la Méditerranée et certaines de ses îles, de l'Espagne à l'ouest de la Turquie, ainsi que dans quelques sites à l'intérieur du continent, comme au Neusiedlersee et le long du Danube jusqu'en Ukraine; deux sites de nidification isolés existent au Maghreb, sur la côte atlantique marocaine et en Tunisie. La sous-espèce A. m. albiventris se trouve sur les côtes de la mer d'Azov et dans le bassin du Don (Russie), remplacée par A. m. mimica des côtes de la mer Caspienne au sud du Kazakhstan, au nord-ouest de l'Inde et au Levant. Avec environ 17'000 couples, le delta du Danube en Roumanie héberge presque la moitié de la population européenne; le Neusiedlersee A, avec plus de 9'000 couples, concentre un quart de cette population. Les populations méditerranéennes sont normalement sédentaires, alors que celles d'Europe orientale et d'Asie sont migratrices, hivernant sur le pourtour méditerranéen, notamment du sud de la France à travers la Sicile jusqu'à la Grèce, ainsi qu'au Moyen-Orient, en Mésopotamie (Irak), autour du golfe Persique, au Pakistan et dans le nord-ouest de l'Inde. En Suisse, l'espèce fréquente irrégulièrement la rive sud du lac de Neuchâtel, où les seules preuves de reproduction ont été apportées en 1981 (M. Antoniazza), 2004 (M. Zimmerli, B. Posse) et 2005 (2 nidifications). Accidentelle ailleurs, elle a été observée ou capturée dans les sites suivants: Pointe-à-la-Bise GE, Cully VD, Les Grangettes VD, Uetendorf BE, Hindelbank BE, retenue de Niederried BE, Granges SO, Sempach LU, Rottenschwil AG, retenue de Klingnau AG, Nuolener Ried SZ, Bolle di Magadino TI et Ascona TI. Au lac de Constance, l'espèce a été signalée à la presqu'île de Mettnau D et au delta du Rhin A, et 5 captures ont été effectuées en France limitrophe à L'Etournel. On connaît 3 reprises en Suisse de Luscinioles à moustaches baguées au Neusiedlersee A, environ 700 km à l'est. Le nombre de reprises est remarquable étant donné la rareté de l'espèce, et montre l'origine de la plupart des oiseaux observés en Suisse: un oiseau bagué le 15.8.1961 au Neusiedlersee a été capturé par un chat le 23 ou 30.10 suivant à Uetendorf BE; un j. bagué le 17.9.1982 au Neusiedlersee a été contrôlé le 21.10 suivant à la retenue de Klingnau AG; inversement, un j. bagué le 7.10.1995 à Marin NE a été contrôlé le 24.5.1996 au Neusiedlersee. La migration postnuptiale débute chez nous en août, comme le suggère une observation du 19 août 1983 au Fanel BE/NE (M. Frey, M. Iseli), s'affirme en septembre, culmine en octobre et se termine en novembre ; un oiseau a exceptionnellement séjourné du 20 novembre au 19 décembre 1982 à Granges SO et un autre du 17 février au 3 mars 2017 à la retenue de Niederried BE (S. Aubert et al.). Au printemps, la présence de l'espèce a été constatée dès le 16 mars 2005 à Portalban FR, les 19-20 mars 1974 à Yverdon VD (M. & V. Antoniazza, C. Roulier) et le 20 mars 1964 à Ascona TI. Entre 1978 et 1987, lorsque l'espèce s'est cantonnée durablement au bord du lac de Neuchâtel, des chanteurs ont été entendus au plus tôt dès fin février 1981 (T. Blanc). Les 4 autres données printanières hors de la Grande Cariçaie se situent entre le 28 avril et le 18 mai. Les premières mentions de l'espèce en Suisse datent du 8 septembre 1959 à la Pointe-à-la-Bise GE, puis du 7 octobre 1961 à Sempach LU et du 23 ou 30 octobre 1961 à Uetendorf BE, précédant une série d'observations des années 60 à 80 surtout, notamment sur la rive sud du lac de Neuchâtel dès 1965: premières captures les 31 octobre 1965 (T. Blanc) et 8 octobre 1966 à Estavayer-le-Lac FR (T. Blanc, G. Banderet, C. Henninger), où le premier chanteur a été entendu en 1973 (du 30 mars au 12 avril 1973 à Yvonand VD) et où l'espèce fut régulièrement présente de 1978 à 1987 (sauf 1986) avec 3-6 mâles chanteurs entre Portalban FR et Chevroux VD ainsi qu'entre Cheyres FR et Yverdon VD (M. Antoniazza). La première nidification helvétique a été attestée en 1981 à Chevroux VD (M. Antoniazza). La Lusciniole est devenue moins fréquente dans la Grande Cariçaie après 1987, avec des mentions en période de reproduction en été 1989 (M. Antoniazza), un chanteur respectivement d'avril au 28 mai 1991 (V. Antoniazza), le 29 mai 2001 (M. Antoniazza) ainsi que du 16 avril au 6 mai 2002 (P. Rapin)27 et du 19 avril à mi-mai 2002 (M. Zimmerli). Les 12-13 et 15 avril 2003, un mâle chanteur était à nouveau présent, les 12-13 avril avec une femelle (M. Zimmerli). En 2004, une nouvelle preuve de reproduction a été apportée à Portalban FR (M. Zimmerli, B. Posse)CAvS ; en 2005, jusqu'à 3 couples et un chanteur y ont été observés, et 2 couples se sont reproduits avec succès. Hors de la rive sud du lac de Neuchâtel, on connaît 7 données en 1959-74, 5 en 1975-89 et 5 en 1990-2003. Les hivers froids du milieu des années 80, aussi dans la région méditerranéenne, ont probablement eu raison de la tentative de colonisation de la rive sud du lac de Neuchâtel, mais la croissance actuelle de la population du Neusiedlersee, d'où proviennent sans doute la majorité des oiseaux observés en Suisse, laisse espérer qu'elle s'y réinstallera durablement. Les nouvelles observations en période de reproduction dans la Grande Cariçaie depuis 2001 semblent le confirmer. Hôte des vieilles roselières inondées, la Lusciniole à moustaches y rechercheles peuplements de massettes à feuilles étroites Typha angustifolia, de marisques Cladium mariscus et de laiches élevées Carex elata. Diurne et solitaire, elle se nourrit d'insectes adultes et de leurs larves (coléoptères et hémiptères notamment) et d'araignées prélevés à la base de la végétation ou au sol. La Lusciniole à moustaches vit cachée dans la végétation palustre et ne se montre que rarement, sautillant à terre ou sur les cannes enchevêtrées à proximité de l'eau, en agitant régulièrement sa queue légèrement relevée. Elle ne monte généralement sur les hampes de roseaux communs Phragmites australis que pour chanter. Les cris les plus fréquents sont un «trk» bref ou des «tk-tk-tk…» se transformant parfois en «trrrt» roulé. Quoique plus musical, doux et varié, le chant ressemble à s'y méprendre à celui de la Rousserolle effarvatte, surtout lorsque manque le motif introductif caractéristique en série prolongée de sifflements montants «lu-lu-lu-lu-lu», rappelant le Rossignol philomèle, mais plus hésitant; des imitations telles que les trémolos gémissants du Milan noir y sont parfois intégrées. Le nid trouvé en 1981 en Suisse était construit à 80 cm au-dessus du sol dans une troche de massettes à feuilles étroites Typha angustifolia en lisière de roselière; 4 jeunes s'en sont envolés mi-mai 1981 (M. Antoniazza). En 2004, le mâle chantait le 19 mars, puis deux oiseaux ont été vus le 21 mai, dont un chantait et construisait un nid. Le 29 mai, deux adultes alarmaient et un jeune a été observé (M. Zimmerli, B. Posse). En 2005, les 2 nichées se sont envolées seulement à mi- et fin juin, ce qui laisse suspecter des pontes de remplacement. En Europe centrale, les 4 (2-7) oeufs sont pondus entre début avril et mi-mai, une seconde ponte ayant lieu en juin. L'incubation par le couple débute avec la ponte du dernier oeuf; la durée d'incubation est de 14 (13-15) jours. Les jeunes quittent le nid à l'âge d'environ 12 jours et deviennent indépendants 1 semaine plus tard. L'espèce ne paraît actuellement pas menacée, mais elle n'est fréquente nulle part. La Lusciniole à moustaches à besoin de massifs de roseaux inondés âgés de 5-10 ans, qu'il faut épargner lors de la fauche des marais. |
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