INVASION Particulièrement nombreux cette année, ces corvidés colorés sont très faciles à observer quand ils font escale chez nous pendant leur migration automnale. L’assaut a été donné en septembre. Et le reste des troupes débarquera par milliers jusqu’à la fin du mois de novembre, prévient la Station ornithologique suisse, à Sempach.Entout, ils devraient être plus d’un million à envahir la Suisse, mais leur colonisation sera très temporaire. Les geais des chênes venus du nord-est de l’Europe (Allemagne, République tchèque, Pologne), seuls ou par petits groupes de dix à vingt individus, se dirigent vers le sud de la France; la Suisse n’étant qu’une escale sur la route qui lesmène notammenten Ardèche ou enCamargue. «Ils mettent entre une et deux semaines pour traverser notre pays, souligne l’ornithologue Lionel Maumary. Leur passage est trop bref pour craindre des dégâts, même dans les champs de maïs qu’ils apprécient beaucoup.» Le spécialiste possède le recul nécessaire pour décrire ce phénomène cyclique, qui se produit en moyenne tous les quatre ou cinq ans et concerne d’autres oiseaux forestiers empruntant sensiblement lamêmeroute aux mêmes dates (voir encadrés). «La dernière invasion de geais remonte à 2003. Comme celle des autres espèces sylvicoles, elle dépend de l’abondance des fruits des hêtres sur leurs terres natales. Quand il y en a beaucoup, ce qui a été le cas ce printemps, le taux de reproduction des oiseaux augmente de manière significative. Ensuite, la densité d’individus devient tellement forte qu’ils choisissent instinctivement de migrer. Les jeunes en premier lieu, parfois aussi des femelles adultes, mais rarement des mâles matures, peu mobiles», explique Lionel Maumary. De 50 000 à 70 000 couples Le geai ne représentant aucune menace de colonisation, on peut apprécier avec sérénité le passage aérien éphémère de cet oiseau splendide. La Suisse compterait entre 50 000 et 70 000 couples de geais, sédentaires pour la plupart. Mais grâce à cet affluxmassif, pas besoind’aller enforêt pour les observer. Sur le Plateau, il suffit de lever la tête pour découvrir leur vol chaloupé près des reliefs, ou de se balader sur les rives nord et est de nos lacs, où ils font généralement de petites haltes. Pour être sûr d’en croiser, l’on peut aussi se rendre dans les couloirs de migration, comme le col de Jaman (VD), le col de Bretolet (VS), le col de la Croix (VD), ou à Fort-l’Ecluse (près de Genève, en France). Car le plumage du geai vaut vraiment le coup d’oeil. De la dominante gris rosâtre à brun roux se détache un croupion blanc, une calotte blanche striée de noir qu’il peut hérisser sur sa tête, une queue noire, en accord avec ses ailes de la même couleur, d’où s’échappeunetouche de blanc et, raffinement ultime à la base de chaque aile, un petit damier où alternent un bleu cobalt éclatant et un noir scintillant. Un somptueux… trompe-l’oeil! «Le bleu ne résulte pas d’une pigmentation, mais d’une structure de la plume qui engendre une réfraction de la lumière», précise l’ornithologue. Qu’à cela ne tienne, la magie opère. Et son ramage est à la hauteur de son plumage. Le geai, véritable sentinelle de la forêt, n’est pas seulement l’auteur de ce «chrèèèk» rauque et disgracieux qu’il émet à la vue d’un intrus. Les initiés, comme Lionel Maumary, apprécient ses talents cachés de chanteur: «C’est un excellent imitateur. Dans ses mélopées mélodieuses, il s’approprie les chants d’autres oiseaux, comme l’autour ou la fauvette à tête noire, qu’il accompagne de gloussements et de caquètements.» Intelligent et opportuniste Curieux oiseau que ce geai. On en oublierait presque qu’il s’agit d’un corvidé, comme la corneille et la pie. Et ce détail à son importance… Cela implique une intelligence hors du commun, accompagnée d’une bonne dose d’opportunisme, qui se traduit avant tout dans son régime alimentaire. Même si cet omnivore aime par-dessus tous les glands – il peut en mettre une dizaine dans son jabot afin d’aller les cacher pour l’hiver dans des endroits qu’il oubliera parfois, favorisant la régénération des chênes – il se nourrit aussi, en fonction des saisons, de faînes, de châtaignes, d’insectes, voire de lézards. Occasionnellement, il mange des oisillons de moineaux ou de mésanges, ce qui contribue grandement à la réputation de nuisible qu’il traîne depuis toujours. «Les corneilles, les pies et les geais, tout comme le pigeon domestique, sont les seuls oiseaux suisses que l’on peut chasser toute l’année. Entre 1992 et 2003, près de 10 000 geais ont été tués. Mais aujourd’hui, cette chasse est vraiment anecdotique. Elle n’a aucun justificatif écologique, d’autant que les effectifs sont assez stables. Et les forfaits du geai dans le domaine de la sylviculture, dans les champs de maïs ou auprès des espèces de passereaux sont sans commune mesure avec l’importance de son rôle en matière de dissémination des graines…» La sitelle torchepot D’ordinaire, seuls deux ou trois de ces passereaux se font prendre dans les filets tendus par les ornithologues à la Dent-de-Jaman (VD). Mais cette année, déjà plus de septante ont pu être bagués. La mésange noire Cette espèce montagnarde est la plus abondante en Suisse. Cet automne, sa population aurait été multipliée par dix ou vingt, selon l’estimation de l’ornithologue Lionel Maumary. La mésange bleue La population de la plus colorée des mésanges semble avoir augmenté dans les mêmes, proportions que celle de sa cousine noire. On devrait donc en voir bien plus cet automne en Suisse. Le grimpereau des jardins La migration en Suisse de ce petit passereau au bec courbe est un mystère, car il est sédentaire. Peu de données de vol le concernant existent, mais tout indique qu’il s’est laissé entraîner par les mésanges! |