L’oiseau albinos est immaculé, ce qui est rarissime. Mais sa couleur originale lui rend la vie difficile. Si, en vous baladant dans le parc Bourget, à Lausanne, vous apercevez un merle blanc, ne pensez pas que vous devez changer de lunettes. Car il est bel et bien là, cet albinos phénoménal, ce vrai merle de cent grammes qui devrait être noir comme tous ses copains, mais arbore un irrésistible costume couleur meringue. On ne peut pourtant pas dire qu’il fait le fier: selon Lionel Maumary, ornithologue, l’oiseau est plutôt embêté d’être aussi visible. Impossible pour lui de se cacher en une seconde dans les haies et les sous-bois ombrés à l’instar des autres merles: on le voit où qu’il soit! «Sa blancheur le place au premier rang des proies recherchées par l’épervier d’Europe, qui avale au moins un oiseau par jour. Ce merle se sent visible, il se sait vulnérable, c’est pourquoi il passe à toute allure d’un en droit à un autre,ne se laisse pas approcher facilement,contrairement au merle classique qui n’est guère farouche.» Bon,mais pourquoi la nature l’a-t-elle peint en blanc, ce merle, puisqu’en noir il eût été plus peinard? «Il a une anomalie de pigmentation. Il ne semble pas malade, ni souffrir d’une mauvaise vue,ce qui peut être le cas chez les albinos. C’est juste un merle noir…blanc. Il n’est pas le représentant d’une espèce rare ou nouvelle, il est simplement un individu différent des autres. Il faut savoir que la couleur des oiseaux a deux origines. Soit elle est chimique, donc dictée par des pigments, ce qui est le cas de la plupart des oiseaux, soit elle est physique, et alors c’est la matière constituant la plume qui entraîne des jeux de lumière, des reflets, donnant ainsi naissance à la couleur.» Même pour Lionel Maumary, qui passe sa vie à observer et photographier les oiseaux, le merle du parc Bourget est exceptionnel: «Il arrive, assez régulièrement,qu’on observe des merles au plumage mélangé de noir et de gris, on parle alors de leucisme. Là,c’est le premier merle tout blanc que je vois,et il est particulièrement spectaculaire. Il y a quelques décennies, il aurait sans doute été rapidement abattu en tant que rareté, puis empaillé, et placé dans un musée! Impossible de dire d’où il vient. Il est peut-être né ici, ou arrivé lors d’une migration, car les merles peuvent parcourir des centaines de kilomètres.» Et son avenir? «Il aune espérance de vie de trois à cinq ans - même si le record s’établit à vingt ans - et les merles font deux à trois nichées par an de cinq oeufs en moyenne. Il va transmettre sa différence à ses descendants, qui apparaîtront soit tout blancs,soit bicolores, soit noirs.»Des blancs-becs, ou des merlots blancs, comme disent déjà des farceurs? Trop gourmand! Une légende venue de France (voir Livre des superstitions, Gallimard) dit que le merle était blanc à l’origine,mais que sa cupidité lui valut de virer au noir. Il avait en effet reçu l’autorisation, de la part d’une pie, de se servir dans le trésor d’un prince, à condition de ne pas toucher à certaines richesses. Il planta pourtant son bec dans le tas de poudre d’or interdite, ce que le démon n’apprécia pas. Il couvrit de feu et de fumée l’oiseau qui parvint à s’enfuir,mais, une fois posé sur une branche, le merle découvrit son plumage tout noirci, et son bec tout jaune couleur d’or. A part ça, il existe, bien sûr, des cas d’albinisme. Lionel Maumary explique: «J’ai observé des pouillots véloces, des gobe-mouches gris, des moineaux, des grèbes huppés, des huîtriers pies qui étaient blancs. A Neuchâtel, un merle blanc qui avait fait l’objet d’un suivi a donné naissance à des petits au plumage mélangé. Un cas intéressant, c’est le geai albinos. Il est blanc,mais ses plumes bleues, sur les ailes, restent bleues.» Un abri peu tranquille Avec le lac tout proche – un kilomètre de rivage –, un étang, une rivière, des grands arbres, des haies, le parc Bourget est un abri idéal pour une faune multiple qui va de l’écureuil au rouge-gorge en passant par les humains pique-niqueurs de la belle saison. Dans l’idéal, donc, le merle blanc, comme ses congénères aux plumes sombres, devrait passer là quelques années tranquilles. «Pas tant que cela, dit Lionel Maumary, car bien que le parc soit depuis septante ans classé réserve ornithologique, et qu’il y ait des règles à y respecter, les humains y exercent une pression redoutable. Un seul exemple: comment le pouillot véloce, un petit oiseau, pourrait il faire son nid au sol — c’est sa particularité — alors que les gens lâchent leurs chiens, ce qui est interdit?» Aux dernières nouvelles, un projet de réhabilitation est à l’étude, pour remettre de l’ordre au pays du merle blanc, le parc Bourget. |