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La chronique
de Lionel Maumary

Almanach des migrations

Deux Phalaropes à bec étroit sur le Léman

Lionel Maumary, Oiseaux.ch, 03.10.2017

Cela faisait 15 ans que le Phalarope à bec étroit n'avait plus été observé sur le Léman. Cette trop longue absence a été interrompue le 26 août 2017, lorsque Eric Bernardi, Stéphane Aubert, Raphaël et Amélie Nussbaumer ont pu photographier deux individus migrant au-dessus du lac depuis un bateau au large de Buchillon VD. Ce n'est que le lendemain que les photos, réalisées in extremis avant que les deux limicoles non identifiés disparaissent, révèlent sans équivoque leur identité ! La dernière observation au bord du Léman datait du 25 août 2002 à Collonge-Bellerive GE (François Dunant).


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Un des deux Phalaropes à bec étroit au large de Buchillon VD le 26 août 2017. Raphaël Nussbaumer.

Le Phalarope à bec étroit a une distribution circumpolaire continue, de l'Islande, des îles Shetland, de l'Ecosse et de la Scandinavie à travers le nord de la Sibérie jusqu'à la péninsule des Tchouktches, puis de l'Alaska à travers le nord du Canada jusque dans le sud et l'est du Groenland. Son aire de nidification est à peine plus méridionale que celle du Phalarope à bec large. Les quartiers d'hiver de la population paléarctique se situent dans la mer d'Oman et le golfe Persique ainsi que de l'Indonésie à la Mélanésie et ceux des populations néarctiques dans le Pacifique au large du Pérou. Contrairement au Phalarope à bec large, la migration s'effectue par l'intérieur du continent eurasiatique, avec des sites d'escale traditionnels au Kazakhstan, où notamment 600'000 individus ont été recensés en mai 1959 au lac Tengiz. Avec environ 40'000 couples, l'Islande héberge plus de la moitié de la population européenne.

En Suisse, les données sont dispersées sur tout le Plateau, surtout dans la moitié orientale du pays ; on connaît 3 observations sur les lacs de Haute-Engadine GR vers 1'800 m d'altitude, une de l'Oberland bernois vers 700 m et une du Jura vers 1'000 m, les 4-5 septembre 1976 à l'Orient VD dans la Vallée de Joux, mais aucune du Tessin. Le lac de Constance récolte la grande majorité des observations avec 33 données de 1900 à 1995, le Léman n'ayant produit que 11 données au XXe siècle. Le bassin d'Ermatingen TG, le Chablais de Cudrefin VD, Yverdon VD et Genève sont les sites les plus fréquentés par l'espèce en Suisse.

Les femelles adultes ayant pondu quittent les sites de nidification dès le mois de juin et arrivent parfois dès début juillet suivis en août par les mâles et les jeunes, le passage de ces derniers culminant à mi-septembre et se terminant à fin octobre, laissant quelques rares attardés en novembre. L'observation d'un ind. du 20 décembre 1979 à Genève est la plus tardive connue en Europe centrale. On ne connaît que 5 données de printemps entre le 31 mai et le 11 juin.

On connaît 15 données de 1900 à 1949 et 52 de 1991 à 2001, l'espèce étant devenue presque annuelle dès 1970. Sur le lac de Constance, on connaît 23 données de 1-4 ind. jusqu'en 1982, puis 13 de 1983 à 1999. La même évolution a été constatée en Bavière (Allemagne), où le Phalarope à bec étroit est devenu annule depuis 1970. Cette augmentation est sans doute liée au développement de l'ornithologie de terrain, mais peut-être aussi à l'extension de son aire de nidification vers le sud constatée dès 1980 en Finlande et en Norvège. La population d'Islande est par contre en déclin.

Le Phalarope à bec étroit niche dans les marécages de la toundra de l'Arctique et des montagnes scandinaves jusque vers 1'300 m d'altitude, et hiverne en grandes troupes compactes en mer dans les courants ascendants des eaux tropicales riches en zooplancton, souvent à proximité de baleines qui exploitent la même ressource de nourriture. Sur les lacs à l'intérieur du continent, recherche les eaux riches en matière organique, aux embouchures des rivières, proches de rejets d'égouts ou de stations d'épuration. Il s'arrête également sur des étangs, dans des gravières ou des champs inondés. Diurne, il se nourrit en nageant, souvent en tournant sur lui-même pour créer un courant ascendant entraînant les invertébrés qu'il picore à la surface. Cette manière de se nourrir est caractéristique des phalaropes, le tournoiement s'effectue dans le sens inverse des aiguilles d'une montre et pouvant atteindre 40 tours à la minute. Il capture également les moucherons en vol qui passent à sa portée ou picore ses proies en marchant sur le rivage. Les migrateurs ne s'attardent guère plus de quelques jours au même endroit, le plus long séjour étant celui d'un ind. du 9 septembre au 1er octobre 1992 sur le Greifensee ZH. Le Phalarope à bec étroit a presque toujours été observé isolément et non loin du rivage, rarement par groupes de 2-3 individus, une fois 4 du 8 au 11 septembre 1987 sur le lac de Sempach LU. Cependant, l'observation du 11 août 1993 à 3-4 km au large de Horn TG sur le lac de Constance, ainsi que des observations de phalaropes indéterminés en septembre au milieu du lac de Neuchâtel, suggère que bon nombre d'oiseaux peuvent passer inaperçus au milieu des grands lacs. Particulièrement peu farouches, les jeunes se laissent approcher par l'homme à moins d'un mètre sans manifester la moindre crainte. En vol, il émet un « pit » bref, semblable à celui du Bécasseau sanderling.

L'espèce ne paraît actuellement pas menacée, mais décline en Islande, son principal fief européen. La population mondiale est estimée à 3'000'000 individus, dont 500'000-1'000'000 en Eurasie.



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