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La chronique
de Lionel Maumary

Almanach des migrations

Des Spatules blanches en Suisse romande

Lionel Maumary, Oiseaux.ch, 29.01.2021

La Spatule blanche devient moins rare dans notre pays. En 2020, elle a fait plusieurs apparitions en Suisse romande hors du site traditionnel du Fanel BE et du Chablais de Cudrefin VD. Du 24 octobre 2020 au 11 janvier 2021, un jeune oiseau a même séjourné longuement à Chavornay VD, jusqu'au gel de l'étang, après quoi il s'est déplacé vers Yverdon VD, où il va probablement terminer son hivernage. En 2020, deux observations ont également été effectuée à l'île aux oiseaux de Préverenges VD : un immature y est passé le 11 avril et un jeune bagué au nid le 1er juin 2020 en République tchèque y a séjourné du 4 au 6 décembre, après avoir été observé le 29 novembre dans le bassin d'Ermatingen D au lac de Constance. Les populations de Spatule blanche sont en forte augmentation en Europe, notamment en Hollande, où après 30 ans de croissance exponentielle, la population de la mer des Wadden s'est récemment stabilisée à un maximum de près de 2000 couples. Les observations de plus en plus fréquentes en Suisse sont probablement le reflet de cette évolution réjouissante.


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Photo: Spatule blanche immature (2 a.c.) de passage à l'île aux oiseaux de Préverenges VD le 11 avril 2020. L. Maumary.
Carte: Localisations de la Spatule blanche baguée comme poussin en République tchèque, revue à Ermatingen D et à Préverenges.


La Spatule est une espèce typique des climats chauds, pénétrant localement dans la zone tempérée. En Europe, l'espèce niche principalement dans le sud de l'Espagne et du Portugal, aux Pays-Bas, au Neusiedlersee A, en Hongrie, dans les Balkans, dans le bassin du Danube et au bord de la mer Noire. Son aire de distribution se prolonge à l'est autour de la mer Caspienne jusqu'en Asie orientale et en Inde. Deux autres sous-espèces nichent respectivement en Mauritanie et en mer Rouge et Somalie. Avec 2'325-2'975 couples, l'Ukraine, la Roumanie, la Hongrie et l'Espagne hébergent plus des deux tiers de la population européenne. Les Pays-Bas possèdent un effectif croissant avec plus de 1'000 couples1. La plus grande partie de la population européenne hiverne sur le pourtour méditerranéen ainsi qu'en Afrique de l'Ouest et de l'Est, mais quelques oiseaux hollandais demeurent sur les côtes françaises de la Manche et de l'Atlantique.

En Suisse, l'espèce est le plus souvent observée dans les zones humides du Plateau. Il existe 2 observations provenant du Jura, deux du Tessin et une des Grisons. Sur 59 observations entre 1900 et 2003, 19 proviennent du Fanel BE/NE et du Chablais de Cudrefin VD, les autres sites les plus fréquentés étant la retenue de Klingnau AG, le bassin d'Ermatingen TG/D et le delta du Rhin A.

En Suisse, jusqu'en 2003, 38 observations (64%) ont été faites au printemps entre mars et juin. Le reste concerne la migration postnuptiale, qui culmine en juillet et août et se prolonge jusqu'en novembre. On connaît 2 cas d'hivernage : un immature du 21 novembre 1985 au 12 février 1986 (trouvé mort ce dernier jour, A. Pfister) à Steinach SG/Arbon TG (E. Don et al.) et un jeune du 16 décembre 1994 au 21 janvier 1995 à Yverdon VD (M. Muriset et al.) puis du 21 janvier au 14 mars 1995 au Fanel BE/NE (T. Guillaume et al.).

Entre 1900 et 2003, on compte 59 observations en Suisse ; il y en a eu au moins 31 sur les rives limitrophes du lac de Constance jusqu'en 1998. Chez nous, l'espèce est apparue chaque année depuis 1985 (sauf en 1998 et 2001, en tout 35 données). Cette légère augmentation s'explique par une pression d'observation accrue et avec l'évolution de la population hollandaise, qui est passée de 150 couples dans les années 60 à plus de 600 couples en 1993, pour atteindre son plus haut niveau en 1998 avec 1'270 couples. Parallèlement, elle a colonisé de nouveaux sites en Europe occidentale: la Spatule blanche a niché en France dès 1981, où sa population atteignait 91-98 couples en 2001 ; elle a également colonisé la République Tchèque dès 1984, le Portugal dès 1988, la Slovaquie et l'Italie dès 1989, le nord de l'Allemagne dès 1995, le Danemark dès 1996 et la Grande-Bretagne dès 1999. Par contre, l'espèce est en déclin dans la plupart de ses bastions traditionnels d'Europe orientale depuis le début du XXe siècle, les sites de Serbie (500-1'000 couples) et de Roumanie (400 couples) ayant disparu temporairement. Dans ce dernier pays, la population nicheuse est remontée à 222 couples en moyenne entre 2015 et 2018. La population de la Basse-Volga s'est effondrée de 2'500 couples dans les années 50 à 500 couples vers 1980. La colonie du Neusiedlersee A s'est temporairement éteinte en 1990 et 1991 suite à un régime de basses-eaux. Plus de 67% de la population européenne montre une régression, signifiant un déclin global de 30% en moyenne entre 1970 et 1990.

La Spatule blanche niche dans les vastes étendues humides possédant des zones d'eau peu profonde bordées de roseaux communs Phragmites australis et hiverne généralement sur le littoral maritime, dans des sites abrités tels que lagunes, estuaires et deltas. En migration et en hivernage en Suisse, elle fréquente les roselières, vasières, bancs de sable et îlots de graviers. L'oiseau hivernant à Yverdon VD en 1994/95 se reposait et passait la nuit sur un îlot artificiel et se nourrissait en bordure de la roselière; par grand froid, il se rabattait sur un petit canal forestier libre de glace. Diurne et grégaire, la Spatule se nourrit d'invertébrés aquatiques, petits poissons et larves d'amphibiens en balayant latéralement l'eau peu profonde de son bec entrouvert, tout en avançant méthodiquement. L'espèce est chez nous le plus souvent observée isolée ou par paire (54 des 59 données). La plupart des migrateurs sont observés en vol ou ne s'arrêtent que quelques heures, mais dans 25 cas (42%), ils ont séjourné quelques jours au même endroit, au printemps comme en automne; la migration s'effectue le plus souvent pendant la matinée. L'espèce est généralement silencieuse.

La distribution de la Spatule est limitée par la rareté de sites de nidification favorables à proximité des sites de gagnage. Son aire a été réduite par la destruction de zones humides appropriées (drainages, constructions, inondations). La pression humaine et la pollution de l'eau sont égale-ment des facteurs négatifs: pendant les années 60, la population hollandaise a chuté de plus de 300 couples à 150 couples en raison d'une concentration trop élevée en pesticides, puis elle s'est rétablie par la suite pour atteindre un maximum de 2'000 couples en 2017. L'espèce est très sensible à la prédation sur ses sites de nidification.



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