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La chronique
de Lionel Maumary

Almanach des migrations

Harelde espiègle

Lionel Maumary, Oiseaux.ch, 03.02.2020

Trouve-moi si tu peux ! C'est l'appel narquois que semble lancer ce mâle si charismatique d'Harelde boréale, qui n'a cessé de jouer à cache-cache avec les observateurs désireux de le voir et le photographier depuis qu'il est apparu à Claudia Hischenhuber le 2 décembre 2019 aux Grangettes VD. Disparaissant et réapparaissant comme par magie, il a donné le tournis à de nombreux ornithologues venus de toute la Suisse pendant tout l'hiver. Lié aux Fuligules morillons qu'il suit dans leurs déplacements, il a fait des aller-retour de 25 km à vol d'oiseau entre les Grangettes et le port de Lausanne-Ouchy, s'arrêtant régulièrement aussi dans le port de Lutry VD et occasionnellement dans celui de Pully VD. Mais après le 14 janvier 2020 il a disparu, pour réapparaître le 26 janvier sur le lac de Thoune à Spiez BE (M. Hammel et al.), à 80 km du Léman en ligne droite ! Après cette courte excursion outre-Sarine, il était contre toute attente de retour dans le port de Lutry dès le 30 janvier, comme si de rien n'était... Etant le seul canard reconnaissable individuellement dans les groupes de Fuligules morillons, il a mis en évidence les importants déplacements nycthéméraux de ces derniers, qui regagnent une fois la nuit tombée les hauts-fonds recouverts de moules en parcourant souvent plusieurs dizaines de kilomètres par jour. Les déplacements cumulés d'après les observations effectuées entre le 2 décembre 2019 et le 2 février 2020 avoisinent 500 km.


illustration

Harelde boréale mâle adulte. Les Grangettes VD et Ouchy-Lausanne, décembre 2019. Lionel Maumary.

L'Harelde a une distribution circumpolaire. Elle niche au Groenland, en Islande, au Svalbard, en Scandinavie et au bord de l'océan arctique en Sibérie, en Alaska et au Canada. Une population
isolée niche sur les côtes de la Baltique, dans le golfe de Finlande et dans celui de Botnie. Avec 7'500-14'000 couples, la population scandinave est très petite comparativement à celle du nord-ouest de la Sibérie, qui compte plus de 4'500'000 d'individus. L'espèce hiverne sur les côtes du nord et de l'ouest de l'Europe, ainsi que sur la côte atlantique de l'Amérique du Nord et de part et d'autre du Pacifique. Les côtes de la Baltique accueillent 90% de la population européenne en quelques énormes concentrations pendant l'hiver, le reste se distribuant sur les côtes de la mer du Nord, du nord de la France et des île Britanniques ainsi que sur celles d'Islande. Seul un très petit nombre hiverne à l'intérieur du continent européen.

La Suisse est située très au sud de l'aire d'hivernage habituelle de l'Harelde, raison pour laquelle elle n'y est que rare en hiver sur les grands lacs du Plateau. La plupart des observations proviennent du Léman (surtout le Petit-Lac) et du lac de Constance (surtout dans le bassin d'Ermatingen TG/D et dans la baie d'Hegne D ainsi qu'au delta du Rhin A et à la baie de Bregenz. L'espèce est exceptionnelle à l'intérieur des Alpes (lacs de Haute-Engadine GR vers 1'800 m, avec 6 données aux lacs Poschiavo GR et de Davos GR) ainsi qu'au Tessin. En l'absence de reprise d'oiseau bagué, la provenance des oiseaux observés en Suisse est énigmatique.

En automne, les premiers oiseaux n'apparaissent que rarement dès mi-octobre, en règle générale dès mi-novembre avec les premières vagues de froid. Les effectifs augmentent en fonction de la rigueur de l'hiver pendant le mois de décembre pour se stabiliser jusqu'à mi-mars. Les oiseaux quittent alors leurs quartiers d'hiver, certains y restant jusqu'à fin mai, époque à laquelle des migrateurs peuvent être observés hors des sites traditionnels, comme par exemple cet oiseau vu le 17 mai
1986 sur le lac de Poschiavo GR 960 m (H. Schmid). Seuls quelques rares cas d'estivage sont connus: un mâle blessé a passé tout l'été 1958 à l'embouchure de la Venoge VD (M. Jean-Petit-Matile) ; un jeune mâle du 12 décembre 1984 au 1er septembre 1985 sur l'Aar près de Leuzigen BE (W. Christen, F. Kurz) ; un individu le 15 juillet 1953 aux Grangettes VD (E. Altherr) ; un mâle les 8 juillet et 15 septembre 1986 à Lindau D (E. Seitz) ; un mâle jusqu'au 12 juillet 1995 au bassin d'Ermatingen TG/D (H. Jacoby) ainsi qu'une femelle les 9 et 23 juillet 2003 à Märkt D (M. Leuzinger).

Le nombre moyen d'oiseaux atteignant la Suisse en hiver ne semble guère avoir changé depuis le milieu du XXe siècle, mais l'apparition de la Moule zébrée Dreissena polymorpha a sans doute favorisé l'installation des hivernants. Des afflux se produisent certains hivers, comme en
1980/81, 1988/89, 1990/91 et 1993/94, mais aucune tradition ne s'instaure car ces oiseaux ne reviennent apparemment jamais les hivers suivants. L'afflux de l'automne 1988 coïncide avec celui de l'Eider à duvet, de la Macreuse brune et de la Macreuse noire.

Principalement diurne, l'Harelde recherche les fonds aquatiques bien garnis en Moules zébrées Dreissena polymorpha, crustacés et larves d'insectes, qu'elle pêche généralement à des profondeurs de 3-10 m, mais elle s'éloigne volontierstrès au large car elle peut atteindre des profondeurs de 30, exceptionnellement 55 m. Elle peut rester immergée pendant 1 à 2 min (généralement 30 à 60 s) et
réapparaît à des dizaines de mètres de son point de départ. L'Harelde se fixe souvent pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois au même endroit. On la rencontre généralement isolée ou par petits groupes comptant 2-5 (94% des données, 1950-2003), rarement plus de 15 individus.
Si les oiseaux isolés peuvent devenir très confiants lorsqu'ils se sentent en sécurité, les groupes gardent leurs distances vis-à-vis de l'Homme. L'espèce est généralement silencieuse pendant l'hiver, mais elle devient plus bavarde au printemps: la parade nuptiale, qui s'observe parfois chez nous entre février et début mai, s'accompagne de sons harmoniques modulés «ah-ou-a», exhalés aussi bien en vol que posé sur l'eau. Sur les terrains de nidification, ces vocalises nasillardes et plaintives qui portent relativement loin sont à l'origine de plusieurs surnoms donnés par les Inuits, dont l'ancien nom américain «Old Squaw» (vieille femme).

L'espèce est vulnérable à la pollution des eaux de la Baltique (par le pétrole notamment), qui est considérée comme responsable de la régression de la population scandinave. De nombreux oiseaux se noient dans les filets de pêche.

DateLieuDistance parcourueObservateur
02.12.19Les Grangettes
C.Hischenhuber
03.12.19Les Communailles7 kmD.Querio
06.12.19Lutry27 kmC.Hischenhuber
08.12.19Les Grangettes20 kmP.Noverrazetal.
09.12.19Les Grangettes0 kmM.Chesaux,H.Rothacher
10.12.19Les Grangettes0 kmR.Jeanfavre,G.Porchet
14.12.19Lausanne-Ouchy25 kmL.Maumary,S.Poirier
15.12.19Les Grangettes25 kmH.Fivat,H.Rothacher,Y.Schloeder
17.12.19Les Grangettes0 kmR.Jeanfavreetal.
19.12.19Les Grangettes0 kmC.Hischenhuber
24.12.20Lausanne-Ouchy25 kmL Maumary,A.Aigroz,T.Gebhard
26.12.19Les Grangettes25 kmM.Jaquet
28.12.19Les Grangettes0 kmC.Hischenhuber,H.Rothacher
01.01.20Pully22 kmC.Jotterandetal.
04.01.20Les Grangettes22 kmC.Hischenhuber,R.Jeanfavre
05.01.20Lutry20 kmM.Somrani
06.01.20Les Grangettes20 kmH.Fivat,P.Noverraz
07.01.20Les Grangettes0 kmH.Fivat
11.01.20Lausanne-Ouchy25 kmT.&F.Gebhard
12.01.20Les Grangettes25 kmC.Hischenhuberetal.
14.01.20Les Grangettes0 kmM.Jaquet,P.Noverraz,H.Rothacher
26.01.20Spiez 80 kmM.Hammeletal.
30.01.20Lutry80 kmC.Schenk
31.01.20Lutry0 kmS.Roy,L.Maumary
01.02.20Les Grangettes20 kmH.Rothacher
02.02.20Ouchy25 kmT.Gebhardetal.
Total
493 km



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