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La chronique
de Lionel Maumary

Almanach des migrations

Evolution de la colonie de Martinets alpins (Apus melba) à l'église St-François de Lausanne de 1996 à 2021.

Lionel Maumary, Oiseaux.ch, 04.12.2021

En 2021, la ville de Lausanne hébergeait près de 100 couples couples de Martinets alpins dans 7 vieux édifices : Château St-Maire, Palais de Rumine, Cathédrale, Tour de l'Ale, Eglise St-François, Gymnase de la Cité (Ancienne Académie) et Evêché. La colonie de l'Eglise St-François est la seule accessible à Lausanne. Jusqu'en 1990, le clocher de cette église abritait une quinzaine de couples de Martinets alpins, mais la pose d'échafaudages pour sa restauration qui a eu lieu cette année-là a causé la désertion de la colonie en 1991. Pendant les travaux, une dizaine de nichoirs ont été installés sous les échafaudages, dont un a été occupé à partir de 1992. Ce couple a niché seul jusqu'en 1995, date de la fin des travaux et de l'installation définitive des nichoirs sous le toit du clocher. En 1996, de nouvelles fentes ont été pratiquées sous le toit afin d'augmenter le nombre de places disponibles, ce qui a permis à un deuxième couple de s'installer. Un 3e couple s'est cantonné en 1999, puis la colonie s'est régulièrement étoffée pour atteindre 8 couples en 2003. Après une très faible reproduction en 2007 (2 couples), leur nombre est rapidement remonté à 10-15 couples dès 2011. Le nombre de jeunes envolés de l'église St-François de Lausanne a suivi la même évolution, atteignant un maximum de 31 jeunes en 2016. En tout 407 jeunes Martinets alpins se sont envolés de St-François de 1996 à 2021.


illustration


Fig. 1. Evolution du nombre de couples et de jeunes élevés à l'église St-François de Lausanne de 1996 à 2015. Les colonnes indiquent le nombre de jeunes envolés et la ligne rouge le nombre de couples nicheurs.


Fig. 2. Plan des nichoirs du clocher de l'église St-François.

Echanges entre colonies


Grâce au baguage et au contrôle systématique des adultes nicheurs et des jeunes, nous savons que l'un des partenaires du couple fondateur de la nouvelle colonie (F-38160, contrôlé en juin 1997), est né en juin 1990 à Soleure, 100 km au nord-est. Cet adulte s'est reproduit avec son partenaire F-33793 chaque année jusqu'en 2001 (pendant 5 ans), toujours dans le même nichoir. Inversement, un oiseau né en juin 2000 à Lausanne (F-48021) a été retrouvé blessé le 23 avril 2003 à Soleure. Un individu venu de Fribourg, 51 km au nord-est (F-40054, bagué jeune au nid le 19 juillet 1993) a malheureusement péri dans les filets de protection contre les pigeons du clocher de l'église St-François avant le 11 mai 1996. Un autre oiseau fribourgeois a eu plus de chance : bagué jeune au nid le 17 juillet 1998, retrouvé blessé à St-François le 11.6.2001, puis soigné et relâché le 23 juin 2001. Enfin, un oiseau bagué comme poussin le 13 juillet 2016 à Fribourg (F-69050) a été contrôlé le 25 avril 2019 à St-François.

Longévité et fidélité au site de nidification


Un Martinet alpin a niché pendant 12 ans à l'église St-François, dans au moins deux nids différents et avec au moins 3 partenaires différents. C'était également l'oiseau le plus âgé lors du dernier contrôle (au moins 13 ans). Les autres individus contrôlés sur plus de deux ans ont niché pendant 11 ans (2), 10 ans (2), 9 ans (1), 7 ans (1), 6 ans (1), 5 ans (1), 4 ans (3) et 3 ans (4). Le couple le plus durable a niché pendant 6 ans consécutifs. Les échanges entre nichoirs et partenaires ont occasionnellement lieu, mais le nouveau partenaire remplace généralement un oiseau disparu (plus revu par la suite dans la colonie).

Fidélité au site de naissance


Cinq oiseaux ont niché dans la colonie où ils sont nés (1.8 %), dont un dans son nichoir de naissance. Ils ont respectivement atteint l'âge minimum de 10, 8, 7 et 3 ans. Aucun autre jeune n'a été retrouvé dans la colonie les années suivant le baguage au nid.


Fig. 3. Jeunes Martinets alpins au nichoir 16. Juillet 2015. Lionel Maumary.

Succès de reproduction


A part les deux premières années d'étude où le succès de reproduction était très bas (0.5-1 jeune/couple), celui-ci se situait autour de 2.5 (2.0-3.0) jeunes/couple dans les années 2000 puis a clairement diminué à 1.9 en moyenne (1.6-2.2) dès 2010. La cause de cette régression n'est pas connue, mais est probablement liée à un taux de retour plus faible des adultes. En effet, le nombre de jeunes à l'envol augmente régulièrement entre la 1ère année d'occupation d'un nichoir (1 jeune à l'envol) et la 5ème année (3 jeunes à l'envol). L'expérience des couples s'avère donc déterminante pour le succès de reproduction.


Fig. 4. Evolution du succès de reproduction.

Une hécatombe en 2021


Le succès de reproduction dépend aussi fortement des conditions météorologiques. En 2021, ce taux est tombé pour la première fois au-dessous de 1 jeune envolé par couple nicheur (0.78), ce qui s'explique par le printemps et l'été très froid et pluvieux. En moyenne nationale, la température moyenne du mois de mai a été inférieure de 2,3 °C à la norme 1981-2010. Au cours des 30 dernières années, seuls mai 2019 et 2013 avaient été aussi frais. Les précipitations quasi-quotidiennes ont fait de ce mois de mai le plus humide localement depuis le début des mesures. Après des mois de mai et juin pluvieux, de grandes quantités de pluie et de la grêle sont de nouveau tombées dans la première moitié de juillet. Vers la mi-juillet, plusieurs lacs et rivières ont connu des crues et des inondations. Ce n'est que vers la dernière décade du mois de juillet qu'il y a eu quelques jours de temps estival ensoleillé dans toute la Suisse. Ce mois s'est terminé sur une note humide, avec de fortes précipitations et des inondations au Tessin et en Suisse centrale. Juillet 2021 a finalement été l'un des plus humides jamais enregistrés sur de nombreux sites de mesures au Nord de la Suisse et en Suisse centrale, et même le plus humide depuis le début des mesures en moyenne nationale. La conséquence de ces conditions météorlogiques exceptionnelles fut une hécatombe sans précédent. Sur 19 jeunes bagués en juillet, 10 ont été retrouvés morts le 26 août dans les nids alors qu'ils avaient presque atteint l'âge de l'envol. Un adulte a même été retrouvé mort d'inanition dans le nid, ce qui n'était jamais arrivé auparavant.

Statistiques 1996-2008


Succès moyen 1ère année d'occupation du nichoir : 1 jeune (n=10)
Succès moyen 2ème année d'occupation du nichoir : 2.1 jeunes (n=9)
Succès moyen 3ème année d'occupation du nichoir : 2.3 jeunes (n=6)
Succès moyen 4ème année d'occupation du nichoir : 2.5 jeunes (n=6)
Succès moyen 5ème année d'occupation du nichoir : 3 jeunes (n=3)

Taux de retour


Le taux de retour moyen des adultes nicheurs d'une année sur l'autre était de 85 % de 1996 à 2005 (75-100 %) pour 1-8 couples. Il est par contre tombé à 55 % (45-60 %) de 2013 à 2015 lors de la pose de géolocaliseurs pour 7-11 couples. Sur les 17 oiseaux équipés en 2013 et 2014, seuls 5 ont été contrôlés par la suite, soit un taux de retour extrêmement faible de 29 %. Sur 19 individus capturés une seule fois, 9 (47 %) ont été munis d'un géolocaliseur. Sur 8 individus capturés 2 fois, 4 (50 %) portaient un géolocaliseur.

Pose de géolocaliseurs


Avec la collaboration de Christoph Meier, Laurent Vallotton et Jacques Laesser, des géolocaliseurs ont été posés dans le but de connaître les zones de migration et d'hivernage de ces migrateurs transsahariens. En 2013, 8 géolocaliseurs ont été posés sur des adultes et 7 en 2014. Un seul géolocaliseur a été récupéré en 2015 et 4 autres oiseaux sont revenus sans leur géolocaliseur (perdu). Deux des 3 oiseaux non équipés d'un géolocaliseur en 2013 et 2014 sont revenus. Ce premier géolocaliseur récupéré n'a malheureusement pas fonctionné. La pose de géolocaliseurs a été renouvelée en 2016 et 2017, et le 19 juin 2018, un géolocaliseur a pu être récupéré sur un oiseau fraîchement de retour d'Afrique, délivrant le secret de son voyage. Il a atteint ses quartiers d'hiver en Guinée, en Sierra Leone et au Libéria en passant par l'Espagne, le Maroc et la Mauritanie en automne 2017, avant de remonter par l'Algérie au printemps 2018.


Fig. 5. Trajet migratoire du Martinet alpin contrôlé avec un géolocaliseur le 19 juin 2018 à l'église St-François.

Perspectives


L'étude de la colonie de Martinets alpins de l'église St-François va se poursuivre. Le suivi à long terme se justifie notamment pour l'acquisition de données sur la fidélité, la longévité et le succès de reproduction. Il n'est pas exclu de poser à nouveau des géolocaliseurs si une amélioration technologique le permet.


Fig. 6. Ce Martinet bagué F-13987 en 2014 est revenu avec son géolocaliseur en 2015. L. Maumary.









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