Chronique ornithologique

Lionel Maumary Points de vue et actualité ornithologique par le biologiste Lionel Maumary.

Une Sterne arctique à Préverenges

Lionel Maumary, Oiseaux.ch, 10.05.2009

Une Sterne arctique à Préverenges

Depuis le 9 mai 2009, une Sterne arctique se laisse admirer à l’île aux oiseaux de Préverenges VD. Autrefois considérée comme pratiquement impossible à séparer de la Sterne pierregarin, l’espèce n’a été reconnue régulièrement qu’à partir des années 90. Cet oiseau pélagique reste toutefois un hôte extrêmement rare à l’intérieur du continent. Les critères d’identification par rapport à la Pierregarin sont le bec entièrement rouge (sans pointe noire), la queue plus longue et échancrée, les ailes uniformément blanches dessus (sans encoche sombre) et translucides dessous, terminées par liséré noir très fin et net (diffus chez l’autre espèce).

La Sterne arctique a une distribution circumpolaire, nichant des îles Britanniques, des côtes de la mer du Nord et d’Islande à travers les zones boréale et tempérée du continent eurasiatique et les îles arctiques, en Alaska, au Canada et au Groenland. Avec 250'000-500'000 couples, l’Islande héberge presque deux tiers de la population européenne. Les quartiers d’hiver de la population européenne se situent entre l’Afrique du Sud et la banquise antarctique.

En Suisse, on ne connaissait que 5 mentions jusqu’en 1968, après quoi 9 nouvelles données ont été enregistrées entre 1978 et 1989, puis l’espèce a été observée chaque année à partir de 1992 : on connaît 51 données de 56 individus (24 adultes, 2 individus 3 a.c. et 16 jeunes ; âge indéterminé chez 14 autres) depuis la première de 1916 jusqu’en 2003. Les 27 observations printanières en Suisse ont eu lieu entre le 16 avril et le 15 juin, avec un maximum entre fin avril et mi-mai. Des 24 données automnales, la plupart se situent entre le 19 septembre et le 31 octobre, avec quelques précurseurs en août.

Avec 6 données respectivement, les années 1993 et 2001 ont été particulières en Suisse, de même que le delta du Rhin A au printemps 1999 avec 4 données de 15 individus 17 et en 2002 avec 7 observation. Cette évolution est en partie due à une meilleure connaissance des critères d’identification et à une recherche plus ciblée de la part des ornithologues; en effet, l’espèce a longtemps été considérée comme impossible à identifier sur le terrain et plusieurs observations anciennes ont prudemment été publiées avec un point d’interrogation. L’extension de l’aire de nidification à l’intérieur des terres à partir de la Baltique depuis le milieu des années 60 a probablement également joué un rôle. Les observations en période de nidification sont de plus en plus fréquentes à l’intérieur des terres en Europe centrale.

Bien qu’elle migre régulièrement en petit nombre à l’intérieur du continent, la Sterne arctique est avant tout une espèce pélagique nichant sur les côtes maritimes. Elle ne niche à l’intérieur des terres que dans la zone boréale et la toundra. Diurne et grégaire, elle se nourrit principalement de petits poissons, crustacés et larves d’insectes aquatiques pêchés en plongeant depuis les airs, souvent après un vol sur place. Les insectes sont également capturés à la surface de l’eau, à la manière des guifettes. La Sterne arctique se repose de jour sur les bancs de sable, îlots, enrochements, môles, blocs erratiques, pilotis, radeaux ou bouées. En Suisse, les migrateurs ne s’attardent guère plus d’une journée au printemps, mais les jeunes peuvent séjourner parfois pendant plusieurs jours en automne. Les migrateurs sont chez nous généralement isolés ou par deux, se mêlant souvent aux Sternes pierregarins, Guifettes moustacs ou Mouettes pygmées. Bruyante en colonie, l’espèce est généralement silencieuse hors de la période de nidification ; ses cris « krriir » ou « kt-kt » sont plus brefs et plus aigus que ceux de la Pierregarin.

L’espèce ne paraît actuellement pas menacée. Bien que d’intenses mesures de protection ont permis d’arrêter le déclin drastique des 100 dernières années, un déclin a récemment été enregistré, dû à la prédation sur les colonies par le Vison d’Amérique Mustela vison, aux dérangements par les activités de loisirs, à la pollution des eaux par les organochlorés, à la réduction de l’offre alimentaire ainsi qu’à la persécution directe.